La religion en image
Avec plus de 6 000 sculpture et 2 600 m2 de vitraux, le programme iconographique de Chartres est particulièrement riche.
La sculpture romane se développait principalement sur les chapiteaux des piliers et au tympan des portails où les sculptures représentaient généralement le Jugement dernier : le sort des malheureux voués à l’enfer y était décrit en détail pour impressionner les fidèles. Le gothique se veut en revanche plus proche de l’homme. Il est une délivrance des peurs ancestrales, du monde foisonnant de monstres qui caractérisent le roman.
"La pensée nouvelle, écrit Georges Duby, faisait reculer la fable, le fantastique des bestiaires, toutes les merveilles inventées alors que croisés, marchands et missionnaires partaient à la découverte de contrées inconnues, elle dissipait les brumes et les fantasmes, elle venait substituer des bêtes vivantes aux monstres que les héros des romans courtois rencontraient naguère sur le chemin de leur errance, et les feuilles que chacun peut voir dans la forêt à la flore symbolique des enluminures…"
Ainsi, les chapiteaux intérieurs sont-ils souvent décorés de plantes et de fleurs. La sculpture gothique tend à exprimer l’idée d’un Dieu plus humain, d’un Dieu de miséricorde. De même, tout dans le vitrail est fait pour rappeler que "Dieu est lumière". Le gothique transmet l’image d’une religion plus apaisée, voire optimiste. L’art chrétien dessine alors une religion de l’espérance et de l’indulgence.
Les sculptures romanes et gothiques, comme un livre ouvert
La sculpture prend à Chartres une dimension majeure puisque l’ensemble de la statuaire compte près de 6 000 statues. L’intérieur de la cathédrale est aussi richement sculpté que l’extérieur, et l’importance de la statuaire rappelle combien l’art médiéval avait un rôle encyclopédique et éducatif pour des croyants, qui bien souvent ne savaient pas lire. Comme la cathédrale, elles ont été réalisées au fil des campagnes de construction de l’édifice. Ainsi les sculptures du portail occidental, le Portail Royal, datent des années 1145-1150 et se situent juste à la charnière entre le roman et le gothique. Les portails sud et nord sont quant à eux pleinement gothiques puisque réalisés entre 1205 et 1215 pour l’un, et 1210 et 1225 pour l’autre par un ensemble de sculpteurs, pour la plupart anonymes.
Le maître de Chartres
Le portail Royal est réputé pour sa perfection et l’on attribue au Maître de Chartres certaines des plus belles sculptures de la porte centrale, notamment le tympan et les statues colonnes. Contemporain du chantier de Saint-Denis, ce maître sculpteur a marqué l’époque par son talent.
Avec ses statues colonnes, il fait brillamment la démonstration d’une association de postures hiératiques, héritage d’une tradition romane, à une expressivité singulière annonçant le gothique, plus maniéré. Les corps et les visages sont allongés pour rappeler l’idée de transcendance, les gestes sont limités puisque les personnages représentés, les rois David et Salomon entre autres, sont encore prisonniers de la pierre dans laquelle ils sont sculptés. Cependant, les drapés des vêtements sont délicats et une émotion certaine est exprimée par leurs visages calmes, bienveillants et majestueux. On retrouve dans le tympan central ce mariage entre les contraintes techniques romanes et les prémices gothiques d’une sculpture plus gracile. Le Christ, représenté en majesté dans une mandorle (forme d’amande dans laquelle s’inscrit la représentation des personnages sacrés) est entouré des quatre évangélistes. Dans cette représentation, saint Jean, saint Marc, saint Luc et saint Matthieu sont symbolisés respectivement par un aigle, un lion, un taureau et un homme. C’est ce que l’on appelle un tétramorphe.
L’âne qui vielle et la truie qui file, des sculptures mystérieuses
La plupart des scènes bibliques présentées à Chartres illustrent des moments particuliers de l’histoire sainte et, associées les une aux autres, sont à comprendre comme une interprétation théologique. Mais au milieu de toutes ces sculptures, certaines peuvent sembler plus étranges. C’est le cas de l’âne qui vielle et de la truie qui file, devenues emblématiques de la cathédrale.
Le thème de l’âne s’exerçant à la musique apparaît dans une fable de Phèdre au 1er siècle de notre ère : "L’âne, voyant une lyre abandonnée par terre dans une prairie, s’approcha et essaya les cordes avec son sabot, elles résonnèrent dès qu’il les toucha : joli instrument parbleu, mais c’est mal tombé, dit l’âne, car je ne sais pas en jouer. Si quelqu’un de plus savant l’avait trouvé, il eût charmé les oreilles par de divines mélodies."
L’âne dans son ignorance de la musique ne peut entrer en relation avec les harmonies supérieures.
L’âne musicien rappelle aux chrétiens le chemin à parcourir pour entrer en relation avec l’essence de la spiritualité.
La truie qui file fait partie de la symbolique celte. Le sanglier est l’animal consacré à Lugh, le dieu suprême du panthéon celte. Il est l’image du savoir car il se nourrit du gland, fruit du chêne, arbre sacré des druides. La laie entourée de neuf marcassins est le symbole du druide enseignant les novices. Ainsi la truie est-elle le symbole de l’enseignement spirituel. Le fil qu’elle déroule est symbole de transmission de la connaissance au futur initié.
Ces deux statues situées sur le portail Royal témoignent, comme le labyrinthe, de la capacité de l’église catholique à faire sienne des symboliques anciennes, pour inviter quiconque passant le porche à entrer dans un univers symbolique qui lui ouvre le chemin de la lumière.
La truie qui file fait partie de la symbolique celte. Le sanglier est l’animal consacré à Lugh, le dieu suprême du panthéon celte. Il est l’image du savoir car il se nourrit du gland, fruit du chêne, arbre sacré des druides. La laie entourée de neuf marcassins est le symbole du druide enseignant les novices. Ainsi la truie est-elle le symbole de l’enseignement spirituel. Le fil qu’elle déroule est symbole de transmission de la connaissance au futur initié.
Ces deux statues situées sur le portail Royal témoignent, comme le labyrinthe, de la capacité de l’église catholique à faire sienne des symboliques anciennes, pour inviter quiconque passant le porche à entrer dans un univers symbolique qui lui ouvre le chemin de la lumière.
Une autre sculpture attise la curiosité, à l’angle sud ouest du Clocher Vieux : un ange portant un cadran solaire. Cette statue colonnes datée du 12e siècle a vu son cadran solaire remplacé par un autre en 1528.
La religion chrétienne : de la Genèse à l’Apocalypse
La sculpture extérieure ne remplit pas seulement un rôle d’ornementation. Elle est l’expression de la foi catholique offerte à la population.
Le portail royal, qui forme l’entrée principale, est consacré à Jésus. Le porche central montre le Christ en majesté qui, entouré des quatre évangiles et des quatre-vingt vieillards, annonce l’Apocalypse. Le porche de droite, lui, représente la naissance de Jésus. Il permet de glorifier Marie, mais aussi de revenir sur l’incarnation divine, la nature humaine du Christ. En réponse à cette iconographie, le porche de gauche donne à voir l’ascension du Christ. Trois des points essentiels de la religion sont ainsi représentés. Ils sont accompagnés dans les voussures sud de figures savantes de l’Antiquité telle que Ptolémée, ou Pythagore, dont les travaux étaient étudiés au 12e siècle. Le portail royal apparaît alors comme une illustration de l’humanisme chrétien tel qu’il est développé dans les écoles épiscopales de la ville à l’époque.
Le programme du portail sud est tout aussi riche. Il met l’accent sur l’histoire de l’église, des premiers apôtres à l’évêque de Chartres Jean de Salisbury (12e siècle). Organisé autour du Christ enseignant aux apôtres sur le trumeau central, une porte consacrée aux martyrs et aux grands évêques, tel que Saint Nicolas, Saint Grégoire ou encore Saint Laumer, fondateur d’une abbaye de la région, se déploie dans toute sa majesté. À la diffusion du message catholique répond le martyr, ultime don de soi. L’iconographie du porche central vient conforter l’importance du rôle de l’église en illustrant le Jugement Dernier. Cette représentation met en scène toutes les strates de la société de la plus pauvre à la plus riche. Il offre par la même occasion une vision très sociale du discours catholique de l’époque. Sur les piles avancées du porche, les vices et les vertus sont détaillés. Les vertus sont symbolisées alors que les vices sont retranscrits dans des scènes de vie quotidienne, comme dans la "dureté" qui repousse du pied un serviteur à genoux. Ici comme ailleurs dans l’ensemble de la statuaire de Chartres, éléments du quotidien et représentations plus symboliques sont mêlés afin de donner plusieurs niveaux de lecture au message diffusé.
Enfin, le portail nord est dédié à Marie et revient donc sur lien fondamental entre Dieu et l’Humanité. L’ensemble iconographique est consacré à la vierge de sa mort à son couronnement par le Christ.
La Maison de Marie
Consacrée sous le nom de Notre-Dame, la cathédrale de Chartres est toute entière dédiée à la Vierge Marie. Celle-ci y est représentée plus de 175 fois, tant dans la pierre que sur les vitraux. On trouve notamment deux représentations de la Vierge nourrissant l’enfant Jésus, datée du 13e siècle, une image de tendresse maternelle et de vie quotidienne.
Afin de protéger ces valeurs de douceur et de vie, la cathédrale n’autorise aucun défunt à être enterré en son sein. Elle défend ainsi sa réputation d’être la demeure terrestre préférée de la Vierge. Les évêques ne bénéficient pas de dérogation : la cathédrale ne doit pas être souillée par la putréfaction des cadavres.
Le culte de la Vierge est renforcé par son ancrage sur des cultes plus anciens de la déesse mère avec des références à une déesse païenne, terre nourricière, souvent figurées sous la forme de vierge noire. La présence d’une relique de la Vierge Marie contribue par ailleurs au rayonnement de la cathédrale. Charles le Chauve offre en effet en 876 à la basilique une étoffe qui aurait été la tunique portée par la Vierge lors de l’Annonciation. Cette tunique apparaît alors d’autant plus précieuse qu’elle a touché à la fois le corps de la Vierge et celui du Christ. Un certain nombre de miracles lui sont attribués, et Jehan le Marchant traduit en 1261 un poème daté de l’An Mil, Les miracles de la Notre-Dame de Chartres, qui en recense trente-deux. Il faudrait leur ajouter le sauvetage de la relique elle-même, qui, déposée dans la crypte par des chanoines, a pu échapper à l’incendie de 1194.
Sur les cent-soixante-quinze vierges que compte la cathédrale, trois Vierges font l’objet d’un culte plus particulier : Notre-Dame de Belle-Verrière, Notre-Dame du Pilier et Notre-Dame Sous-Terre.
Rare vitrail conservé jusqu’à nos jours datant du 12e siècle, Notre-Dame de Belle-Verrière représente la Vierge portant l’enfant en majesté sur ses genoux. Il est emblématique de l’édifice et du fameux bleu de Chartres.
Notre-Dame du Pilier se situe dans le chœur, juste après le transept au niveau du collatéral nord. Elle fait partie de la galerie des "Rois de Notre-Dame" et a la particularité d’être une Vierge Noire. A l’image des Madones espagnoles, elle est couverte de riches vêtements. Preuve de la dévotion dont elle fait l’objet, un véritable "buisson ardent" constitué des cierges déposés par ses fidèles, est entretenu à ses pieds. Enfin, la troisième Vierge réputée de la cathédrale est la fameuse Notre-Dame Sous-Terre, qui tient son nom de son lieu de conservation : la crypte. Alors qu’elle était peut-être l’une des plus anciennes vierges noires en France, l’originale de la Vierge est détruite en 1793. Une copie a pu être réalisée en croisant les sources et en s’appuyant sur une gravure conservée par les sœurs Carmélites de Chartres, ainsi que sur une copie réalisée au 16e siècle.