Un édifice représentatif du gothique
La cathédrale de Chartres se distingue par plusieurs caractéristiques qui, chacune à leur manière, permettent de mieux comprendre le mouvement gothique.
Les clochers
Les clochers de Chartres sont une des spécificités de l’édifice. D’une hauteur de 114 mètres pour le clocher nord et de 103 mètres pour le clocher sud, ces deux tours majestueuses encadrent le portail occidental. D’une esthétique très dissemblable, elles témoignent de l’histoire de la cathédrale.
En effet, initialement il n’existait que le clocher nord, qui, avant d’être rattaché à la nef par l’adjonction de deux travées dans les années 1160, n’était encore qu’un campanile, c’est-à-dire un clocher séparé du corps de la cathédrale de Fulbert.
Son pendant, au sud du portail, est achevé en 1165 dans le style du premier gothique. Pourtant, c’est celui-ci que l’on nomme clocher vieux. La tour nord est en effet profondément transformée après l’incendie de 1506 quand Jehan de Beauce érige une flèche de style gothique flamboyant.
La façade d’abord pensée comme harmonique, conformément aux principes gothiques (la façade constitue un rectangle divisée en trois parties - avec chacune un portail - dont la plus large se trouve au centre), se retrouve flanquée de deux tours aux esthétiques dissonantes. À gauche, le clocher ancien inscrit dans un plan carré sur les trois premiers niveaux adopte un plan octogonal pour le quatrième niveau, celui de la pointe. Les phases successives de construction et les réutilisations de pierre font de cette tour un élément architectural hybride, parfois considéré comme roman, parfois comme gothique, selon l’élément pris en compte.
À droite, également construite sur un plan carré, la tour est plus simple, plus aveugle aussi. Les épais contreforts qui assurent son maintien rappellent le style roman dans lequel elle a été pensée. Le contraste avec le beffroi qui vient la couvrir est alors d’autant plus frappant. En effet, achevé en 1513, il reprend toutes les spécificités du gothique flamboyant.
Malgré leurs différences, les deux clochers sont liés par une iconographie commune puisque la flèche sud est surmontée d’une croix de fer et d’un croissant de lune qui renvoie à celui sur lequel la femme de l’Apocalypse pose ses pieds. On retrouve sur celle du nord le soleil faisant écho à la femme de l’Apocalypse, vêtue de ses rayons.
Les vitraux, un patrimoine médiéval unique
La cathédrale de Chartres compte 172 vitraux qui couvrent une surface de plus de 2 600m2. Gothiques, ils sont pour la plupart réalisés de 1205 à 1240. Certains datent même du 12e siècle, un héritage rare du passé qui a survécu aux aléas du temps et aux modes. Ainsi, au 18e siècle, les chanoines ont remplacé certaines baies dans le chœur par des vitres blanches afin de laisser passer plus de lumière. Au 20e siècle, afin de les préserver des guerres mondiales, ils sont entièrement démontés et entreposés avant de retrouver leur place d’origine. Malgré certaines modifications, cet ensemble apparaît comme l’un des plus complets de la période médiévale. Ils représentent des scènes bibliques, fidèles à l’idée que la cathédrale est une Bible d’images, mais aussi les donateurs qui ont permis leur réalisation.
Sous l’imposante rose dont on retrouve le dessin dans les Carnets de Villard de Honnecourt, les vitraux des trois
lancettes
de la façade occidentale représentent l’arbre de Jessé entouré de deux épisodes de la vie de Jésus. Ils sont datés de 1145, donc contemporains des vitraux de la Basilique Saint-Denis, et sont les plus anciens de la cathédrale. La partie centrale du vitrail Notre-Dame de la Belle-Verrière, situé dans le déambulatoire Sud, date également de cette époque. La Vierge, en bleu sur fond rouge, y porte l’enfant en majesté. À Chartres, cette représentation de la Vierge fait l’objet d’une dévotion particulière comme le prouve la base du pilier noirci par les cierges qui y sont déposés. La couleur du vêtement de la Vierge est si remarquable que ce bleu lumineux oscillant entre l’azur et le turquoise est dit "bleu de Chartres". Il résulte de l’emploi d’oxyde de cobalt pur, extrait en Europe de l’Est, plutôt que d’oxyde de manganèse, plus facile à trouver, dont l’usage se développera à partir du 13e siècle.
Les sujets traités dans les vitraux de Chartres sont à lire comme un prolongement du plan en croix de la cathédrale. La déclinaison de la lumière du jour se retrouve dans l’iconographie. Les scènes illustrant la Genèse sont placées à l’Est, et la rose représentant le Jugement dernier à l’Ouest. De la même manière, à la rose de la vierge tenant son enfant, illustrant l’Incarnation dans le transept Nord, répond la rose annonçant le Royaume de Dieu du transept Sud. Il faut noter d’ailleurs que ce vitrail ne se lit pas comme les autres de bas en haut et de gauche à droite, et apparaît donc comme une exception.
Les mécènes
À cette iconographie religieuse viennent s’ajouter les représentations des nombreux mécènes qui ont permis le financement des travaux. Les rois, les grandes familles féodales, les hauts noms du clergé, ainsi que certains chevaliers, sont les plus évidents à identifier. Toutefois, leurs représentations sur les vitraux peuvent prendre plusieurs formes.
Les donateurs peuvent être représentés par leurs armes, comme c’est le cas de Louis IX et de sa mère Blanche de Castille qui offrent la verrière septentrionale en 1230. Composée d’une grande rose à douze lobes qui représente la Vierge portant Jésus entourée d’anges et de colombes, des Rois de Juda ainsi que des prophètes de l’Ancien Testament. Sous la rose, cinq lancettes
en arc brisé complètent l’iconographie en présentant sainte Anne portant la Vierge enfant, le roi David ou encore Aaron. Les
écoinçons
inférieurs, percés de quatre petits lobes, donnent à voir les tours de Castille ainsi que les fleurs de lys, renvoyant directement aux mécènes. De la même manière, dans la rose elle-même se trouvent des quadrilobes aux armes de France, entre les Rois de Juda et les prophètes de l’Ancien Testament.
Les mécènes peuvent également être figurés dans les verrières hautes. Dans ce cas, ils se font représenter seuls dans les petites roses surplombant les lancettes, comme Thibault VI de Chartres dans le chœur septentrional, ou priant, sous une image biblique, à l’instar de Pierre Mauclerc, comte de Chartres et grand donateur, dans le transept sud.
Les métiers
En plus de donateurs prestigieux, la cathédrale de Chartres a la particularité d’avoir été financée par les différents corps de métiers de la ville, c’est pourquoi ils sont représentés sur les verrières. Les vitraux de Chartres apparaissent comme un témoignage en images des corporations médiévales qui se déclinent sur les parties basses des vitraux, appelées signatures. Ces signatures nous renseignent sur les pratiques de près d’une trentaine de métiers de l’époque. On retrouve notamment les boulangers, les bouchers, les maréchaux-ferrant, les charpentiers, les tailleurs de pierre et sculpteurs...
La diversité sociales des corps de métiers représentés fait écho à la chanson de gestes écrite en marge de la construction de la cathédrale et qui revenait sur chacun des métiers mis à contribution pour la réalisation d’un tel édifice.
Le labyrinthe
Jusqu’au 17e siècle, les labyrinthes étaient fréquents dans le dallage des cathédrales gothiques. Ils seront ensuite interdits par l’Eglise en raison de leur origine païenne. Celui de Chartres est le seul de forme circulaire à avoir été conservé dans une cathédrale.
Constitué d’une alternance de pierres blanches extraites de la carrière de Berchère et de marbre noir bleuté importé de Givet, son diamètre est de près de 12 mètres. Cet espace pourtant relativement ramassé a été exploité au maximum par les maîtres dalleurs afin d’y inscrire le chemin le plus long. Onze bandes concentriques vont mener à six reprises le pèlerin à genoux au centre du labyrinthe, puis l’en éloigner avant qu’il n’accède à la dalle centrale. Initialement, celle dalle était une plaque de bronze sur laquelle était représenté Thésée et le Minotaure, elle aurait disparu lors des réquisitions de métal en 1793. Le bord extérieur du labyrinthe est quant à lui orné de 113 créneaux, qui lui donnent l’air d’une roue dentelée.
Le motif du labyrinthe, et plus encore lorsqu’il est accompagné de la figure du Minotaure, renvoie au mythe grec de Dédale. Pourtant les labyrinthes chrétiens n’ont pas la même fonction que les labyrinthes antiques : une fois que l’on y entre, il n’est plus possible de se perdre et le centre est la seule issue possible. Parfois compris comme une allégorie des difficultés de la vie où seule la foi conduirait à la sortie, l’utilité des labyrinthes dans les cathédrales intrigue. Pourtant les noms qui ont été attribués à celui de Chartres permettent quelques interprétations. Connu comme "chemin de Jérusalem" ou comme "Lieue", le labyrinthe aurait été utilisé comme un substitut de pèlerinage, si long à parcourir à genoux qu’il donnait l’impression de s’étendre sur une lieue.
Ce labyrinthe, dont le diamètre équivaut à un dixième de la longueur intérieure de l’édifice, prend place à un endroit particulier de la cathédrale. Situé entre la troisième et la quatrième travée de la nef, son entrée correspond à l’entrée de la cathédrale de Fulbert. De plus, la rose de la façade occidentale vient parfaitement se superposer à son centre.