Priorité au relogement
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la priorité est donnée au relogement des sinistrés. Pour la première fois de son histoire, l’État s’investit directement et préfinance la construction de logements, appelés Immeubles sans affectation individuelle (ISAI). Il s’agit d’aller au plus vite et de ne pas attendre que les sinistrés entreprennent les démarches pour déclarer leurs dommages de guerre.
Des prototypes
Les immeubles construits au Havre présentent une grande variété d’appartements allant du studio au F6. Ils sont attribués aux sinistrés de guerre une fois le chantier terminé et en échange des dédommagements qui ont été attribués entre-temps. Premiers bâtiments à sortir de terre, les ISAI jouent le rôle de laboratoires. Ils permettent aux architectes d’expérimenter les techniques de construction les plus rapides et les plus économiques. Ils doivent aussi être considérés comme des prototypes pour les autres chantiers de logements qui suivent. Au Havre, le premier ISAI est construit à partir de 1947. À Marseille, la cité radieuse de Le Corbusier est aussi un ISAI.
Des dispositifs de confort et de modernité innovants
Ces ISAI comportent des éléments de confort jusqu’alors impensables : appartements avec double orientation, salles de bain et toilettes avec chasse d’eau, chauffage central, eau froide et chaude, vide-ordures… Ce qui nous semble évident aujourd’hui apparaît pour les arrivants dans les ISAI le comble du luxe !
Ces dispositions et ces aménagements sont pour beaucoup de Havrais de grandes nouveautés bouleversant les traditions et les coutumes du foyer. Auguste Perret et son équipe ont bien conscience de cela et ne souhaitent rien imposer aux futurs habitants. Le plan libre d’un appartement, débarrassé de tout mur porteur, permet de concevoir le logement en toute liberté : on peut à l’envi casser toutes les parois de l’appartement pour créer un plateau entièrement libre. À l’inverse, si l’ouverture des pièces les unes sur les autres semble gênante, on peut refermer celles-ci grâce à des cloisons amovibles montées sur rail.
La cuisine, plus petite, mieux équipée
Jusqu’alors dans un logement en France, la cuisine était considérée comme la pièce de vie : lieu des repas quotidiens, espace des corvées et des petits travaux, c’était aussi souvent la seule pièce chauffée. Un poêle, fonctionnant au charbon ou au fioul, possédait la double fonction de cuisinière et de chauffage. Auguste Perret et les architectes modernes envisagent désormais la cuisine comme un laboratoire. Réduite à ses plus petites dimensions possible, la cuisine doit essentiellement servir au stockage des aliments et à la préparation des repas. Une petite table peut toutefois être installée devant la fenêtre – pour prendre par exemple le petit-déjeuner ou manger sur le pouce.
La salle à manger devient une salle à vivre
Tandis que la cuisine était la pièce réunissant au quotidien tous les membres de la famille, la salle à manger était élevée au rang de “sanctuaire”. Réservée pour les dimanches et les jours de fête, la salle à manger, tout particulièrement interdite aux enfants, ne servait pas les autres jours. Les architectes modernes proposent de mettre un terme à ce qu’ils considèrent une absurdité. Ils envisagent d’exploiter au mieux tous les mètres carrés dans un appartement. Ouverte sur les autres pièces et éclairée par de hautes fenêtres, la salle à vivre est le cœur du logement. Espace de jeu pour les enfants, lieu de réception des invités, salle de lecture et de délassement, la salle à vivre doit beaucoup au living-room américain.
Des salles de bain… sans fenêtres !
La généralisation de toilettes et de salles de bain pour chaque appartement dans les programmes construits est une révolution en soi, à l’heure (1946) où moins d’un tiers de la population dispose de l’eau courante en France. L’autre grande innovation technique consiste dans la mise en place de la ventilation mécanique. Jusqu’alors, les salles de bain et pièces humides devaient disposer de fenêtres pour une bonne aération. La ventilation mécanique (type VMC) permet de reléguer les salles au milieu des appartements pour laisser les fenêtres et la lumière à des pièces où l’on passe – en principe – plus de temps. Les murs de la salle de bain sont revêtus de carreaux en céramique que l’on peut facilement nettoyer.
Un chauffage à air pulsé
La plupart des appartements du centre-ville reconstruit sont chauffés avec un système à air pulsé. Les chaufferies, fonctionnant au fioul, desservent un îlot ou parfois même un quartier entier. Pas de radiateur encombrant des pans de murs entiers : la diffusion de l’air chaud se fait par des petites grilles disposées au-dessus des portes. En revanche, le contrôle de la température était parfois impossible pour les appartements livrés dans les années 1940, où l’on ne disposait pas de thermostat !
La révolution du vide-ordures
Le traitement et le ramassage des ordures constituent aussi une grande nouveauté. Dans chaque cuisine, une petite trappe ouvre sur une colonne verticale qui permet de jeter directement les ordures dans des bennes disposées au rez-de-chaussée ou au sous-sol. Cet ingénieux système a pourtant été abandonné à partir des années 1990 car le nettoyage et l’entretien de ces colonnes sèches se sont avérés trop difficiles.