Le Yuánming Yuán
« Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. »
Victor Hugo, Lettre au capitaine Butler
Connu en Occident comme étant le palais d’Été des empereurs de Chine, le Yuánming Yuán, ou jardin de la Clarté parfaite, s’étendait sur 350 hectares au nord-ouest de Pékin et renfermait d’inestimables trésors. Il a été aménagé au début du 18e siècle pour le futur Yongzheng, troisième empereur mandchou de la dynastie des Qing. Installés depuis 1644 sur le trône du Dragon, les Qing ont acquis leur légitimité en adoptant les codes de la culture chinoise : sur le plan politique, les mandchous adhérent à la doctrine confucéenne et s’appuient sur la caste des lettrés ; sur le plan artistique, ils perpétuent les traditions ancestrales de la calligraphie et de l’aménagement des jardins.
La création du parc impérial
C’est en 1677 que l’empereur Kangxi (1662-1722) décide de restaurer un jardin hérité de la dynastie déchue des Ming, situé à proximité de la capitale. Rebaptisé Printemps glorieux, le parc devient la résidence de plaisance du souverain qui déserte la Cité interdite où règnent une chaleur étouffante en été et un froid glacial en hiver. En 1709, Kangxi offre à son fils, le futur empereur Yongzheng (1723-1735), un jardin attenant au domaine qu’il baptise Yuanming, « Clarté parfaite ».
Dès son accession au trône, Yongzheng fait de ce lieu sa résidence principale. Le site est agrandi et remodelé d’après la configuration géophysique de la Chine de manière à constituer un microcosme de l’empire dont il devient le centre politique.
Élevé au Yuánming Yuán, son fils, le futur empereur Qianlong (1736-1796), se passionne pour le jardin. Il parachève l’œuvre en faisant construire, par les artistes jésuites à son service, un ensemble de palais européens entourés de fontaines et de jeux d’eau.
L’album des Quarante scènes
En 1738, Qianlong décide de rassembler ses vues préférées du Yuánming Yuán dans un album, imitant ainsi son grand-père Kangxi qui avait sélectionné les plus belles vues de son parc de Chengde et y avait joint ses propres poésies. L’empereur confie la réalisation des peintures à deux artistes de la cour. Le premier, Tang Dai, un disciple de Wang Yuanqi, Chinois dont la famille a rejoint les bannières mandchoues, est connu par un certain nombre de peintures de paysages de grand format. Sur Shen Yuan, on sait seulement qu’il peignait habilement les sujets bouddhiques et qu’il travailla avec Castiglione.
L’album comprend quarante peintures qui marient deux genres classiques : la peinture de paysage, shanshui, et le dessin d’architecture, jiehua, à ceci près que de nombreux traits, au lieu d’être exécutés en noir, sont en couleurs, et qu’une influence européenne est perceptible. À chaque peinture correspond un poème composé par l’empereur lui-même. Contrairement à Kangxi, Qianlong ne calligraphia pas lui-même ses poésies mais confia cette tâche à Wang Youdun (1692-1758), ministre des Travaux publics, qui prenait souvent le pinceau à la place de l’empereur. Encombrés de références, d’allusions, de métaphores, les poèmes restent souvent abscons.
L’incendie du « jardin des jardins »
Si l’Empire du Milieu est à son zénith au 18e siècle, la corruption ne tarde pas à gangrener le pouvoir et la décadence s’installe parmi les mandarins. Moins d’un siècle plus tard, éclate la deuxième guerre de l’Opium où s’affrontent la Chine et l’Europe. Le dénouement tragique se passe au Yuánming Yuán. Le domaine est pillé par le corps expéditionnaire franco-britannique puis livré aux flammes par lord Elgin en 1860. C’est le fameux sac du palais d’Été qui provoqua la colère de Victor Hugo. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un seul jardin restauré après l’incendie, bien modeste témoignage de la magnificence du « jardin des jardins ».