Le Passage des Bérésinas

— par Louis-Ferdinand Céline

Dans Mort à crédit, Louis-Ferdinand Céline décrit de façon romancée la vie de ses parents, boutiquiers dans un passage parisien, le Passage des Bérésinas (qui n’existe pas mais dont le nom rappelle celui du Passage des Panoramas). Mais le passage de son enfance, sale et peu aéré, n’est pas un lieu qui fait rêver…
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"La triste histoire des Caravals avait quand même ému le Passage, si profondément qu’il a fallu prendre des mesures. Soudain, on a découvert que tout le monde était "pâlot". On se refilait des conseils entre boutiques et magasins. On ne pensait plus que par microbes et aux désastres de l’infection. Les mômes ils l’ont senti passer la sollicitude des familles. Il a fallu qu’ils se la tapent l’Huile de Foie de Morue, renforcée, à redoublement, par bonbonnes et par citernes. Franchement ça faisait pas grand-chose… Ça leur donnait des renvois. Ils en devenaient encore plus verts, déjà qu’ils tenaient par en l’air, l’huile leur coupait toute la faim.
Il faut avouer que le Passage, c’est pas croyable comme croupissure. C’est fait pour qu’on crève, lentement mais à coup sûr, entre l’usine des petits clebs, la crotte, les glaviots, le gaz qui fuit. C’est plus infect qu’un dedans de prison. Sous le vitrail, en bas, le soleil arrive si moche qu’on l’éclipse avec une bougie. Tout le monde s’est mis à suffoquer. Le passage devenait conscient de son ignoble asphyxie !... On ne parlait plus que de campagne, de monts, de vallées et merveilles…"

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, 1 936