Les Grandes Chroniques de France
C’est vers 1250 que le roi Louis IX (connu aujourd’hui sous le nom de saint Louis) commande à un moine de Saint-Denis, Primat, un énorme travail : réaliser une chronique de la monarchie française, véritable compilation d’œuvres latines antérieures, rédigée en français, en "roman langue vulgaire parlée par les laïques, langue du plaisir et de la récréation".
Primat appelle son livre le Roman des Rois, car il s’agit pour lui de "fere cognoistre… la geste des rois". Il rétablit les Capétiens dans la droite lignée de Charlemagne, suivant en cela les préoccupations du souverain qui, au même moment, procède à la réorganisation des tombes royales dans l’abbatiale. Car les liens sont étroits entre les rois de France et l’abbaye de Saint-Denis, où sont enterrés la plupart des souverains capétiens et conservés les regalia, les insignes de la royauté : la couronne, le sceptre, l’épée, la main de justice.
Œuvre décisive puisqu’elle bénéficiait de l’autorité royale qui l’avait commandée et approuvée, le Roman des Rois fut terminé en 1274 et offert à Philippe III le Hardi, la caution royale rendant l’œuvre de Primat authentique et lui conférant ainsi le caractère d’une vérité officielle que nul ne pouvait mettre en doute.
Des mises à jour périodiques
L’œuvre de Primat fut poursuivie tout d’abord par d’autres moines de l’abbaye de Saint-Denis, puis, à partir de Charles V, par les membres de sa chancellerie, y compris peut-être le chancelier Pierre d’Orgemont lui-même. Les manuscrits successifs de ce Roman des rois, appelé désormais les Grandes Chroniques, prolongeaient l’histoire de France jusqu’à l’époque contemporaine du copiste. C’est ainsi que, vers 1318, les libraires parisiens conçurent une édition qui incorporait l’histoire de saint Louis, rédigée par Guillaume de Nangis et s’achevait en 1270. Vers 1350, en même temps qu’une révision globale, l’histoire fut continuée jusqu’au règne de Philippe VI.
Au milieu du 15e siècle, on y ajouta très logiquement les règnes de Charles VI, d’après Jouvenel et le héraut Berry et celui de Charles VII par Jean Chartier. Ainsi, le public de chaque génération pouvait trouver dans les Grandes Chroniques toute l’histoire de France jusqu’à son temps, rédigée en langue vernaculaire. Mais il s’agit d’une histoire officielle qui donne du passé national une vision partisane. Elle insiste sur les qualités des rois, raconte longuement les victoires, oublie les défaites et les luttes intestines, non sans contribuer cependant à la naissance du sentiment national.
Un succès considérable
Au total près de 700 manuscrits des Chroniques de France sont aujourd’hui conservés. Le succès est considérable, surtout à partir du règne de Charles V. Les ateliers parisiens fournissent des dizaines de manuscrits des Grandes Chroniques de France. Volumineux et dotés de nombreuses miniatures, ces coûteux exemplaires sont surtout destinés aux princes et à leur entourage immédiat. Les nobles sont particulièrement sensibles à une histoire qui fixe la mémoire de leurs exploits ainsi que celle de leurs privilèges. Avec le retour de la paix vers 1450, on se remet à copier les Grandes Chroniques (30 manuscrits en vingt ans), puis à les imprimer fréquemment après 1477.
Mais désormais la plupart des nouveaux manuscrits sont sur papier, en écriture cursive abrégée, avec peu de miniatures. Le succès des Grandes Chroniques s’éteint alors très vite, dès la fin du 15e siècle, peut-être parce que le public lettré est un peu las de cette histoire purement et simplement monarchique. Les "Intellectuels" du Moyen Âge ont besoin d’autres sources pour alimenter leur réflexion et c’est la raison pour laquelle on ne retrouve aucun exemplaire des Grandes Chroniques chez les docteurs de l’université parisienne.
Le manuscrit illustré par Jean Fouquet
On ignore le destinataire de ce manuscrit, du fait de la disparition du premier feuillet ; l’hypothèse la plus probable est que Fouquet aurait réalisé son chef-d’œuvre pour le compte de Charles VII vers 1455-1460, mais on ne peut exclure pour autant un autre commanditaire, familier du roi ou haut fonctionnaire de la Couronne.
La copie du manuscrit illustré par Fouquet a été réalisée en deux campagnes d’écriture : la première (jusqu’au feuillet 240) peut être datée des années 1420-1430 et la seconde, pratiquement contemporaine de l’illustration, aurait été réalisée vers 1455-1460. Chacune de ces campagnes se distingue par un style d’écriture, mais aussi par le format affecté aux miniatures ; à partir du folio 241, il y a sensiblement plus de place en hauteur, résultat semble-t-il d’une négociation de Fouquet avec le copiste. On assiste de ce fait à différentes mises en pages des cinquante et une miniatures placées en tête des principales divisions du texte en fonction des dynasties qui se sont succédées en France, depuis le mythique Pharamond jusqu’à Charles VI. Dans la première partie, ne disposant que d’un espace restreint, Fouquet installe ses scènes dans le cadre d’un vaste paysage, aux perspectives aérées, les personnages étant réduits à de petites dimensions. En revanche, à partir de la vingt-sixième image, l’accent est mis sur les personnages, représentés en plan rapproché dans un espace limité.