Histoire du phare de Cordouan
Construit sur un plateau rocheux situé à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde, à égale distance des côtes de Gironde et de Charente, Cordouan est le plus ancien phare aujourd’hui encore en activité. Il a été classé Monument historique dès 1862. Dès le Moyen Âge, au 11e siècle, le site est occupé par des religieux. Mais ses abords sont dangereux : les fidèles qui s’y rendent sont fréquemment victimes de naufrages. Au 14e siècle, l’activité n’est plus religieuse, mais commerciale. Bordeaux est devenu un centre important de négoce, en particulier de vin, et il faut sécuriser les abords de la ville par voie maritime. Les Anglais, qui dominent alors la région en la personne du Prince Noir Édouard Plantagenêt, prince de Galles et prince d’Aquitaine de 1362 à 1372, construisent dès le 14e siècle une tour octogonale, haute de 16 m, et au sommet de laquelle brûle un feu de bois qui guide les navires. Une taxe pour entretenir la tour et le foyer est prélevée au passage de chaque bateau. Cette technique des tours à feux n’est pas récente. Les Grecs et les Romains en construisent depuis l’Antiquité, surtout sur le pourtour de la Méditerranée. Au fil de leurs conquêtes, les Romains établissent ensuite d’autres tours le long des côtes du nord de la France. La technique est reprise au Moyen Âge.
Une activité commerciale de plus en plus intense
À la fin du 16e siècle, le rôle commercial de Bordeaux s’intensifie et les produits échangés se multiplient : vin, mais aussi sel, étoffes, bois… Au 18e siècle, la situation privilégiée de Bordeaux lui permet de devenir l’une des villes les plus actives dans les échanges avec les Antilles et l’océan Indien. On fait désormais aussi commerce de sucre, de café, de coton ou d’épices. Mais la ville s’enrichit également grâce au commerce triangulaire : transport de marchandises et traite des esclaves entre l’Europe, l’Afrique et les Antilles. Face à cette intensification des échanges, sécuriser la navigation de bateaux toujours plus nombreux devient un impératif.
Un chantier en plusieurs étapes
Au début du 16e siècle, le phare anglais tombe en ruines, et les naufrages se multiplient. Le roi Henri III décide de le reconstruire en 1581. Il nomme une commission d’experts, parmi lesquels Louis de Foix, "horloger, ingénieur et architecte", qui est finalement chargé du chantier. Le contrat d’engagement est signé le 2 mars 1584, en présence du maire de Bordeaux, l’écrivain Michel de Montaigne. Le projet prévoit une tour ronde de trois étages, mais les travaux, ralentis par les guerres de religion, avancent lentement.
Quelques années plus tard, en 1593, c’est Henri IV, au pouvoir depuis 1589, qui donne une impulsion nouvelle : le phare, beaucoup plus somptueux, devient également le symbole du pouvoir royal. Il arbore de riches ornements et accueille une chapelle royale. Pour le nouveau roi, fraîchement converti au catholicisme pour accéder au trône, ce lieu de culte au sein du phare constitue une manière d’afficher sa foi aux yeux de tous. Les travaux durent jusqu’à la mort de l’architecte Louis de Foix en 1606. Mais après l’achèvement du phare, l’ingénieur envoyé en inspection juge que l’édifice est insuffisamment protégé des assauts des vagues. Cet inspecteur se nomme Chastillon. Il a aussi laissé l’une des représentations les plus célèbres du phare achevé. La plate-forme sur laquelle s’élève la tour est renforcée. Ce n’est qu’en 1611 que le phare est enfin mis en service.
Le phare des Lumières
Le phare connaît au 18e siècle une nouvelle métamorphose. Fragilisé par la mer et les intempéries, il menace de s’effondrer dans sa partie supérieure. Un concours est organisé, avec pour contraintes le renforcement et la surélévation de la structure, mais aussi la conservation des parties anciennes comme la chapelle. Le projet de Joseph Teulère est adopté : il prévoit une surélévation de 60 pieds sous la forme d’une colonne conique beaucoup plus sobre dans sa décoration que la tour ancienne. Joseph Teulère, fils d’un maître-maçon, devient tout d’abord apprenti puis compagnon-appareilleur de pierres avant de suivre des études d’architecture. Il possède une parfaite maîtrise de la taille et de la découpe des pierres suivant les règles de la géométrie (la stéréotomie). Son savoir-faire éclate notamment dans l’escalier de la partie supérieure du phare. Les travaux de Teulère sont menés de 1788 à 1790, mais seulement à la belle saison, quand la météo permet le transport des matériaux et les opérations sur place. La partie haute est détruite puis remplacée par une nouvelle tour plus haute, qui ne doit cependant pas ébranler l’ensemble ancien. Les conditions de travail sont périlleuses et nécessitent une vigilance permanente. Mais la grande innovation est constituée par un nouvel appareil d’éclairage, qui vient remplacer la lampe à réverbère de Tourtille-Sangrain, qui n’a jamais donné satisfaction. Étienne Lenoir (1744-1832), l’un des plus grands fabricants d’instruments scientifiques de la fin du 18e siècle, reçoit la commande du nouvel appareil de Cordouan en 1786 : le dispositif muni de réflecteurs en cuivre est tournant et ventilé. Hélas, il ne remplit pas ses promesses. Il faudra encore plus de 30 ans pour que le phare bénéficie de feux à sa mesure, avec l’invention de Fresnel installée en 1823. Au 19e siècle, alors que le réseau des phares se développe, le caractère exceptionnel de Cordouan est reconnu. Après d’importantes rénovations, il est le premier édifice en France à être classé Monument historique dès 1862. En 2 005, le phare fait l’objet d’une nouvelle campagne de restauration d’envergure. En effet, suite à l’érosion de l’éperon rocheux sur lequel il est construit, les vagues attaquent désormais la base du phare, et un bouclier de béton doit être construit pour le protéger.
- Source : https://www.cordouan.culture.fr/fr