Un festin au château
Le monde des 14e et 15e siècles vit souvent dans la faim. C’est pourquoi les châteaux et les somptueux palais urbains de l’aristocratie apparaissent comme des îlots de gourmandise, voire de goinfrerie. Manger plus et manger mieux sont en effet des privilèges de ce groupe social, qui trouve dans les événements les plus variés de nombreuses occasions de festins.
Manger plus
Une table bien fournie est un signe de pouvoir et de distinction sociale. Et tout seigneur se doit de faire servir une abondante nourriture à ses invités. Cette nourriture est si copieuse qu’une partie du festin sera redistribuée aux pauvres alentour, en conformité avec une autre valeur aristocratique : la largesse. Certaines rations théoriques déduites des comptes qui nous sont parvenus atteignent 4 000 à 5 000 calories par jour, soit le double du minimum vital et bien plus que ce qui est considéré comme nécessaire à un travailleur de force. En revanche, les serviteurs qui travaillent vraiment n’ont droit qu’à des portions réduites.
Manger mieux
Non content de se réserver les plus gros morceaux, le maître de maison fait aussi main basse sur les meilleurs morceaux. Les volatiles, sauvages ou domestiques, sont les aliments les plus estimés : parce qu’ils peuvent voler, ils se placent ainsi plus près du ciel, et semblent particulièrement adaptés à ceux qui dominent la société. De plus, leur chair, réputée peu nutritive par les médecins de l’époque, est vivement recommandée aux personnes oisives. Au seigneur revient aussi l’épaule d’agneau, pièce de choix qui nécessite une complexe préparation : sa chair est hachée et mélangée à du fromage et à des épices, puis remise autour des os et enveloppée d’une crépine ; ainsi reconstituée, l’épaule est mise à griller, après qu’on l’a dorée au jaune d’œuf – quand on ne la finit pas à la feuille d’or ! Voilà un plat tout indiqué pour l’une des nombreuses fêtes qui ponctuent la vie aristocratique
L’ordre des plats
Les plats que confectionnent les maîtres queux des grandes maisons prennent place à différents moments du repas, qui constituent autant de services. Dans un festin de quelque tenue, le service des rôtis succède ainsi à celui des potages, terme qui désigne toutes sortes de mets mijotés que l’on mange souvent dans une écuelle. Viennent ensuite les entremets et une série de mets qui concluent les agapes : desserte, issue et "boute-hors", littéralement "pousse-dehors". À chacun des services, on dispose simultanément sur la table plusieurs mets : il n’est donc pas possible à chaque convive de goûter à tout. Les invités les plus modestes, placés en bout de table, sont réduits à dévorer les plats qui se trouvent au plus près d’eux.
Les bonnes manières
Des traités expliquent aux jeunes nobles ou aux jeunes clercs les obligations liées au partage des récipients et des couverts. En effet, deux convives se partagent le plus souvent un même récipient à boire, une même écuelle ou un même tranchoir, ce morceau de pain rassis posé sur une planche qui sert d’assiette improvisée. Ainsi, il est vivement recommandé de ne pas remettre dans le plat le mets dont on a déjà goûté, de ne pas offrir à son voisin un morceau entamé, de saler sa viande sur le tranchoir et non pas la tremper dans la salière, de s’essuyer la bouche avant de boire au hanap, et enfin de ne pas repasser à son voisin une coupe de vin entamée dans laquelle on a trempé des tranches de pain… Les règles d’hygiène sont encore plus strictes lorsqu’il s’agit de faire le service.
Le rituel du service
Nourrir le seigneur ou le souverain est une tâche à laquelle les nobles sont préparés dès l’adolescence : servir est un honneur, par exemple pour l’écuyer tranchant qui coupe la viande. De nombreux officiers, l’échanson, le sommelier, etc., se partagent la rude tâche de choisir le vin du maître ou de ses convives de marque, de le mélanger à de l’eau et de vérifier qu’il n’est pas empoisonné. Le vin, en effet, ne se boit pas pur. Quant à la hantise des empoisonnements, elle est très vivace dans les cours de la fin du Moyen Âge. Pour la prévenir, on fait confiance à des réactifs, telle la corne de licorne (en réalité une défense de narval) : la virginité de cet animal mythique est censée faire bouillonner tout liquide infecté de venin.