Le jardin oriental

La Création d’Adam
Le récit biblique fait coïncider l’apparition du jardin avec celle de l’homme sur la terre. Dans cette enluminure du XVe siècle, Dieu, entouré des anges se penche sur Adam pour lui insuffler la vie.
Le récit biblique fait coïncider l’apparition du jardin avec celle de l’homme sur la Terre.
Les jardins médiévaux chrétiens s’inspirent des jardins d’Orient. Au 7e siècle, le prophète Mahomet et ses disciples définissent le plan du cosmos qui engendre l’image du Paradis. Le monde apparaît comme un cercle divisé en quatre quartiers. Au centre un bassin et une source de vie ; cette figure de l’oasis cosmique inspira le jardin islamique.
Ce dernier apparaît dans des relations de voyages comme ceux du chevalier anglais Jean de Mandeville qui se seraient déroulés en Orient entre 1322 et 1343.
La première description du jardin islamique parvient en Europe grâce à Marco Polo qui décrit le jardin du chef de la secte des Assassins d’Alamut : "Il fit construire, dans une vallée entre deux montagnes, le plus beau et le plus grand des jardins qui fût, garni des fruits les plus savoureux du monde… il y avait quatre conduits, de l’un coulait du vin, d’un autre du lait, le troisième donnait du miel et le dernier de l’eau."
Le jardin biblique

Les fleuves du paradis
Dans cette enluminure, le jardin est délimité par un mur hexagonal et toute l’importance a été donnée à la fontaine d’où jaillissent les quatre fleuves du paradis. Franchissant les portes du jardin en direction des points cardinaux, les ruisseaux se transforment en larges fleuves sur lesquels glissent les bateaux.
© Bibliothèque nationale de France
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L’occident chrétien s’approprie cette image décrite par le cardinal Pierre d’Ailly dans son Imago Mundi : "Il est une fontaine dans le paradis terrestre qui arrose le jardin des délices, d’où s’écoulent quatre fleuves. Elle est si élevée qu’elle touche le globe de la lune et que les eaux du déluge ne sont pas parvenues à sa hauteur… Les eaux qui descendent de cette montagne escarpée forment un grand lac.
On dit que le fracas de ces eaux fait un tel bruit que ceux qui demeurent dans cette région naissent sourds… Ainsi l’ont attesté les moines Basile et Amboise. De cette source principale, nous croyons que les quatre fleuves du paradis se déversent : le Pishon qui est le Gange, le Gibon qui n’est autre que le Nil, puis le Tigre et enfin l’Euphrate, même si leurs sources paraissent avoir été découvertes dans des endroits différents."
Les jardins persans
Les jardins persans font l’admiration de tous ceux qui les visitent. Les tableaux, notamment ceux qui illustrent les manuscrits persans, qui s’inspirent des jardins qui émerveillèrent les visiteurs étrangers ou les envahisseurs arabes sont toutefois très peu réalistes. Tout l’espace doit être rempli pour répondre aux critères persans de la beauté et de l’équilibre. C’est le cas dans les décors architecturaux et les tapis. La page du manuscrit persan traduit la même horreur du vide : fleurs et animaux débordent de leur cadre. La flore est très irréaliste. Le cerisier en fleurs côtoie le platane à l’automne, les plantes ne présentent aucun relief et gardent la même taille et le même éclat en arrière-plan qu’au premier plan. Les motifs sont souvent symboliques : branches entrelacées évoquant les sentiments amoureux, platanes en automne symbolisant la vieillesse ou la fin de la vie, cyprès inspirant la sérénité.

Khosrow voit Chîrîn près de la source
Se rattachant au genre de l’épopée romanesque, le deuxième poème Nezâmî, ne prétend pas être le récit fidèle du règne du souverain sassanide Chosroès II Parvîz, qui commence en 590.
C’est en réalité l’intrigue nouée avec Chîrîn – troublée tour à tour par l’irruption de deux rivales, la princesse byzantine Maryam et la belle Chakkar d’Ispahan – qui forme le sujet du poème. Fille de la reine d’Arménie, la Chîrîn de Nezâmî est l’épouse préférée de Khosrow, mais leur union est retardée par d’innombrables obstacles.
Cette scène montre Khosrow apercevant la belle Chîrîn en train de se baigner dans une source, au pied d’un arbre, entre les branches desquelles elle a déposé ses vêtements. Le cheval de la jeune fille paît à quelques mètres au bord de l’eau. L’extraordinaire richesse de la palette de l’artiste contraste avec la simplicité de la composition. Le paysage est formé d’une pente escarpée dont la couleur rose violacée s’oppose singulièrement aux tonalités vertes de la prairie et au ruisseau noir argenté. Un immense platane dont les branches s’étendent jusqu’au souverain domine la scène. Des couples d’oiseaux nichent dans son feuillage automnal qui s’oppose à l’arbuste en pleine floraison. Le jeune souverain, un doigt à la bouche, geste qui montre sa stupéfaction, ne peut détacher son regard de la jeune fille qu’il a surprise dénudée en train de peigner ses longs cheveux. Sous un ciel d’or, symbolisant le jour, le peintre a créé un paysage idéal.
© Bibliothèque nationale de France
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Dans la religion islamique, l’homme ne doit pas se prendre pour Dieu et ne peut imiter la création. Aussi la peinture marque-t-elle une différence entre le monde réel créé par Dieu et le monde de la représentation créé par l’homme.
L’invraisemblance des couleurs, l’absence de perspective, de modelé des corps ou encore de relief des formes contribuent à l’affirmation de l’irréalité de cet univers.
Les paysages semblent constitués en plusieurs plans comme un décor de théâtre. Les couleurs des premiers plans ne sont pas plus vives que celles des arrière-plans. La taille des personnages ne diminue pas avec la distance. Les plantes des jardins ou celles des tapisseries ont le même aspect décoratif. Jour et nuit se confondent.
Dans l’Inde moghole

Mahtab Bagh, jardin à l’intérieur du Fort rouge de Delhi
Abu Muzaffar Muhiuddin Muhammad Aurangzeb Âlamgir, connu usuellement sous le nom d’Aurangzeb, ou encore parfois comme Âlamgir Ier, est le souverain de l’Empire moghol de 1658 à 1707, le dernier des Grands Moghols. Il est le troisième fils de l’empereur Shâh Jahân.
En faisant construire le fort rouge de Delhi, Shâh Jahân y fit aménager de nombreux jardins dont le Mahtab bagh, ou jardin de la Lune, qui était planté de fleurs pastel comme le jasmin, la tubéreuse, le lys, le narcisse ; le Hayat Baksh, le jardin qui donne la vie, était planté de fleurs pourpres et rouges.
Le style du dessin est typique des Company Paintings, ces peintures réalisées par des artistes indiens pour le compte des Britanniques, agents de la Company anglaise des Indes et, par extension, des Européens, durant les 18e et 19e siècles.
© BnF
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Dans l’Inde moghole, comme dans l’ensemble de la civilisation islamique, la dimension spirituelle du jardin est importante puisqu’il évoque le paradis terrestre, antichambre du paradis promis par Dieu.
Ce sont les Moghols et en premier lieu Babur qui développent en Inde le jardin en quatre partiesou Chahar Bagh, déjà connu en Perse et en Asie centrale. De forme carrée ou rectangulaire, il est divisé en quatre, huit ou douze massifs par des canaux ou des allées qui se coupent à angle droit et est entouré d’une haute muraille. La porte principale est souvent monumentale. Souvent un canal central traverse le jardin sur sa longueur. L’eau du canal descend en cascades d’un réservoir en hauteur et alimente plusieurs fontaines et des canaux latéraux qui aboutissent à des plates-formes ou des pavillons. En général, au centre du jardin, à la croisée des deux canaux principaux, se dresse une terrasse sur laquelle le souverain trouvait place lors de spectacles ou de la réception.
Cette évocation du paradis n’existe pas dans l’hindouisme. Pour les Hindous, la présence de jardins est toutefois indispensable à l’établissement d’un temple et la présence d’un important système d’adduction d’eau et de bassins sur le site du grand royaume hindou du sud, le Vijayanagar, laisse supposer un intérêt pour les jeux d’eau.
Quelques textes anciens décrivent des jardins aux multiples parfums. Ainsi le texte du Kadambari, dans la première moitié du 7e siècle, donne cette description : "Dans le jardin, il vit des canaux contenant de l’eau parfumée au santal. Ils sont bordés d’arbres tamal. II y a aussi des lotus. Des pavillons aux murs de granit transparent s’y élèvent. II y a également des fontaines, des puits."
Le jardin chinois
"Pénétrer dans un jardin chinois, c’est entrer dans la pensée chinoise et surtout dans la pensée taoïste." Le terme signifiant paysage est constitué de deux caractères : shan, montagne, et shui, eau, qui constituent les éléments essentiels de la peinture de paysage shanshui. Ces mêmes éléments, unis en d’infinies combinaisons, caractérisent le jardin traditionnel chinois dont ils structurent l’espace. Ériger des montagnes artificielles et creuser un cours d’eau ou un étang constituent la base de l’aménagement du jardin.
Dans une conception taoïste du monde, entre l’Eau et la Montagne, s’ouvre un espace dans lequel circulent des forces mystérieuses. De la tension entre ces deux pôles naît tout le mouvement de la vie.
Entre la montagne et l’eau, le Vide est traditionnellement représenté par le nuage, état intermédiaire entre deux pôles antinomiques. Né de la condensation de l’eau, le nuage épouse la forme de la montagne. Il donne l’impression que la Montagne peut, aspirée par le Vide, se fondre en vagues, et qu’inversement l’Eau, toujours par l’entremise du Vide, peut s’ériger en Montagne. Ces flux invisibles animent le paysage.
Le jardin chinois se construit comme une œuvre : "Faire un jardin, précise un lettré, c’est comme écrire un poème ou un essai. Il faut que, dans les détours et sinuosités, il y ait une règle, que l’avant et l’arrière se répondent."
Tous les jardins de lettrés reposent sur un même principe esthétique : reproduire des paysages en miniature. Des aspects variés de la nature sont englobés dans un espace réduit. Le plan général ne doit jamais s’apercevoir d’un seul endroit ; toute perspective doit à la fois montrer et cacher pour conduire de découverte en découverte.
L’aménagement du jardin doit tenir compte des saisons pour que les paysages soient admirables tout au long de l’année.
En 1738, l’empereur Qianlong décide de rassembler ses vues préférées du palais et du jardin du Yuanming yuan dans un album, qui est la seule trace de ce jardin détruit par les Occidentaux lors du sac du palais d’été.
Sur les 40 scènes de l’album, 33 illustrent le jardin au printemps, deux en été, quatre à l’automne et une en hiver. Se retrouvent toujours des saules, des pins, des arbres fruitiers en fleurs, mais aussi des plantes liées à l’architecture pour des raisons cultuelles tels les bambous et les magnolias.
Bambou, pin et prunus sont les "trois amis de l’homme", les seuls qui lui tiennent compagnie pendant la saison froide.
Symbole du renouveau, le prunus est le premier à fleurir alors que sévissent encore les frimas hivernaux. Le bambou est l’emblème du parfait lettré. Sa tige signifie droiture, son creux suggère l’humilité et ses feuilles vertes évoquent l’éternelle jeunesse. Symbole de vigueur, le pin, présent dans toutes les scènes, garde sa verdeur l’hiver. Le saule figure très souvent dans les vues du jardin de la Clarté parfaite. Il rappelle la douceur de vivre près des rives de la Chine du Sud. Le lotus symbolise la pureté car il émerge de la boue en fleurs immaculées. À la surface de l’eau, sa fleur offre l’image d’une perfection que rien ne peut souiller. Le lotus rappelle l’idéal bouddhique du détachement de la poussière du monde et l’atteinte de la pureté au-delà du désir. Les fleurs jouent un rôle secondaire dans l’aménagement des jardins, bien souvent présentes sur les seuls arbres fruitiers.
Dans l’album du Yuanming yuan, la pivoine, reine des fleurs comme la rose en Occident, couvre tout un champ. Le magnolia, dont la fleur en bouton symbolise la beauté d’une jeune fille, se trouve intégré dans les édifices.

Le Jardin de la Clarté parfaite
Rochers et plans d’eau ont été aménagés pour répondre à la configuration de l’empire en "neufs régions et quatre mers". Le point culminant représente le mont Kunlun, géniteur des principales chaînes de montagne en Chine. De là partent les trois grandes chaînes du jardin. L’eau se divise en deux branches principales, l’une forme une fourche puis conflue vers un plan d’eau de quatre hectares ; l’autre bifurque plusieurs fois avant de se déverser dans un immense lac de vingt-sept hectares, symbole de la mer de Chine.

Le Jardin de la Clarté parfaite
En 1738, Qianlong décide de rassembler ses vues préférées du Yuanming yuan dans un album, qui est la seule trace de ce jardin détruit par les occidentaux lors du sac du palais d’été.
Cette planche évoque les œuvres de Jing Hao et Guan Tong, maîtres du shanshui, la peinture de paysage, actifs début Xe siècle. La composition est savamment élaborée : digues ornées de saules qui fleurissent en printemps, fleurs de lotus s’épanouissant sur l’eau, bambous dont le feuillage frémissant apporte ombre et fraîcheur... Yongzheng aimait ici lire et se reposer. En souvenir de son père, Qianlong célébrera la mémoire du lieu.

Le Jardin de la Clarté parfaite
Reproduction de la nature, le jardin chinois laisse une large place aux constructions de l’homme car il fait partie intégrante de la nature. Ponts, kiosques, pavillons, terrasses, embarcadères sont autant de signes d’une présence humaine en harmonie avec le paysage. Souvent des bancs sont aménagés le long des fenêtres ou des balustrades, offrant l’occasion d’une halte, d’un moment de méditation. Les allées partent toujours en oblique avec des décrochements qui donnent l’impression d’un espace infini. À travers les paysages suggérés en miniature, le jardin chinois est un lieu propice à la méditation. Il suscite l’imagination, apaise la pensée, abrite des tourments du monde et attire vers la retraite. Il est indissociable de la pensée taoïste qui prône le retour à la nature et le modèle érémitique. La plupart des lettrés, après avoir payé leur dû à la société, avoir été pères de famille et fonctionnaires, se retiraient du monde pour se consacrer à leur jardin.