Les derniers jours de Pompéi
Avant de la décrire, il convient de donner aux lecteurs une idée générale des maisons de Pompéi, qu’il trouvera très ressemblantes en général aux plans de Vitruve, mais avec ces différences de caprices et de goût dans le détail, qui, bien que naturelles à l’homme, ont de tout temps embarrassé les antiquaires. Nous tâcherons de faire cette description aussi clairement que possible et sans pédanterie.
Vous entrez habituellement, par un petit passage appelé vestibulum, dans une salle ornée ou non de colonnes, la plupart du temps n’en ayant pas. Aux trois côtés de cette salle se trouvent des portes communiquant avec plusieurs chambres à coucher, et parmi ces chambres celle du portier. Les meilleures sont ordinairement destinées aux hôtes. A l’extrémité de la salle, et des deux côtés à droite et à gauche, si la maison est vaste, on voit deux petites retraites, plutôt que des chambres, consacrées aux dames de la maison ; et au milieu du pavé marqueté de la salle, il y a invariablement, pour recevoir l’eau de la pluie, un petit réservoir à quatre angles (classiquement appelé impluvium) ; la pluie y tombait par une ouverture pratiquée dans le toit. Un auvent ferme cette ouverture à volonté. Près de l’impluvium, qui chez les anciens était en quelque sorte chose sacrée, on plaçait d’habitude (mais à Pompéi plus rarement qu’à Rome) les images des dieux protecteurs de la maison ; le foyer hospitalier, si souvent mentionné dans les poètes romains et dédié aux lares, se composait, presque toujours, à Pompéi, d’un brasier mobile. Dans quelque coin, celui qui sollicitait le moins l’attention, on déposait un grand coffre de bois, orné ou fortifié par des cercles de bronze ou de fer, et consolidé, au moyen de clous, sur un piédestal de pierre, avec assez de force pour défier les tentatives qu’aurait pu faire un voleur essayant de le détacher de sa position. On suppose que ce coffre était le coffre-fort du maître de la demeure, celui où il mettait son argent. Cependant, comme on n’a trouvé aucune pièce de monnaie dans les coffres de Pompéi, il est probable que c’était plutôt un meuble d’ornement que de service.
Dans cette salle (ou atrium, pour parler classiquement), étaient reçus les clients et les visiteurs du rang inférieur. Les maisons les plus distinguées possédaient toutes un atriensis, c’est-à-dire un esclave consacré au service de cette salle, et dont le rang était important et élevé parmi ses camarades. Le réservoir du centre a dû être un ornementdangereux ; mais le milieu de la salle ressemblait à la pelouse d’un collège, interdite aux passants, qui trouvaient un espace suffisant à l’entour. Immédiatement en face de l’entrée, et à l’autre extrémité de la salle, était situé l’appartement nommé tablinum, avec un pavé ordinairement formé de riches mosaïques, et dont les murs resplendissaient d’élégantes peintures. là se conservaient les souvenirs de la famille, ou ceux des charges publiques que le possesseur de la maison avait remplies. Sur un des deux côtés de ce salon, si on peut lui donner ce nom, la salle à manger (triclinium) ; de l’autre côté, parfois, ce que nous appellerions maintenant un cabinet de curiosités, contenant des pierres précieuses et toutes sortes d’objets rares etcoûteux ; puis, toujours, un petit corridor pour les esclaves, afin qu’ils pussent se rendre dans toutes les parties de la maison sans passer par les appartements dont nous avons fait mention. Ces chambres donnaient toutes sur une colonnade carrée et oblongue, qu’en termes techniques on nommait péristyle. Si la maison était petite, elle avait pour limite cette colonnade, et, dans ce cas, le centre, quoique fort resserré, en était disposé ordinairement en jardin, et orné de vases de fleurs placés sur des piédestaux ; tandis qu’au-dessous de la colonnade, à droite et à gauche, se faisaient remarquer de nouvelles chambres à coucher1, un second triclinium ou une nouvelle salle à manger (car les anciens consacraient habituellement deux salles à ces usages : l’une pour l’été et l’autre pour l’hiver, ou peut-être l’une pour les jours ordinaires et l’autre pour les jours solennels), et, si le maître de la maison aimait les lettres, on trouvait ensuite un cabinet, gratifié du nom de bibliothèque, une très-petite chambre suffisant à contenir le peu de rouleaux de papyrus qu’ils considéraient comme une collection nombreuse de livres.
Au bout du péristyle, généralement la cuisine. Si la maison était vaste, elle ne se terminait pas avec le péristyle, et alors le centre n’en était pas un jardin, mais on manquait rarement d’y voir une fontaine, un bassin pour le poisson, et, à l’extrémité exactement opposée au tablinum, se trouvait la seconde salle à manger, ou les autres chambres à coucher, et peut-être un salon de peinture ou une pinacotheca. Ces appartements communiquaient de nouveau avec un espace carré et oblong, orné communément, de tous côtés, d’une colonnade comme le péristyle, et lui ressemblant à peu près en tout, si ce n’est qu’il était plus large. C’était le véritable viridarium ou jardin, avec une fontaine, des statues, et une profusion de fleurs éclatantes ; tout au fond, l’habitation du jardinier, et des deux côtés, sous la colonnade, d’autres chambres à coucher, si le nombre de la famille exigeait ces appartements additionnels.
A Pompéi, le second et le troisième étage n’avaient qu’une médiocre importance : aussi n’étaient-ils construits qu’au-dessus d’une partie assez restreinte de la maison, et ne contenaient-ils que des chambres pour lesesclaves ; différant, sous ce rapport, des plus magnifiques édifices de Rome, où l’on établissait fréquemment la principale salle à manger, cœnaculum, au second étage. Les appartements étaient ordinairement de moyenne grandeur : car, dans ce délicieux climat, on recevait un grand nombre de visiteurs dans le péristyle, ou portique, dans la salle ou dans lejardin ; les salles de banquet elles-mêmes, quoique ornées avec soin et situées avec goût, n’étaient pas très-vastes ; les anciens, amoureux de l’esprit et d’une société choisie, haïssaient la foule, et donnaient rarement un festin à plus de neuf personnes à la fois, de sorte que de larges salles à manger ne leur étaient pas aussi nécessaires qu’à nous ; mais la suite des pièces que l’on voyait en entrant devait être d’un effet imposant. Vous aperceviez d’un coup d’œil la salle richement pavée et peinte, le tablinum, le gracieux péristyle, et, si la maison s’étendait plus loin, la salle des banquets et le jardin, qui terminait la perspective par une fontaine jaillissante ou une statue de marbre.
Le lecteur pourra maintenant se rendre un compte assez exact des maisons de Pompéi, qui ressemblaient en beaucoup de points à celles des Grecs, en se mélangeant de l’architecture domestique à la mode chez les Romains. Dans chaque maison il y a bien quelque différence de détail, mais la distribution générale est la même. Dans toutes vous trouvez les salles, le tablinum, le péristyle, communiquant les uns avec lesautres ; dans toutes, des murs avec de splendidespeintures ; dans toutes enfin, l’indice d’un peuple épris des élégances raffinées de la vie. La pureté du goût des Pompéiens dans la décoration peut être contestée. Ils adoraient les couleurs voyantes et les dessins bizarres. Ils peignaient souvent le bas de leurs colonnes d’un rouge vif, sans teindre le reste, ou, quand le jardin était petit, ils cherchaient à l’étendre pour la vue en trompant l’œil par la représentation d’arbres, d’oiseaux, de temples, sur les murs, etc., en perspective ; grossiers artifices que Pline lui-même adopta et encouragea avec une vanité ingénue.
L’éruption du Vésuve à Pompéi
Parmi les autres horreurs de cette heure terrible, la montagne venait de lancer des colonnes d’eau bouillante, mêlée et pétrie avec les cendres chaudes ; ces torrents tombaient par fréquents intervalles dans les rues, comme une boue enflammée. A l’endroit même où les prêtres d’Isis s’étaient rassemblés autour des autels, où ils avaient vainement essayé d’allumer les feux sacrés et de brûler leur encens, le plus impétueux de ces torrents, accru d’énormes masses de scories, venait de précipiter son cours furieux. Il avait passé sur les prêtresagenouillés ; leurs cris avaient été les cris de la mort. Le silence qui leur avait succédé était le silence de l’éternité !
Les cendres, le noir torrent, avaient envahi les autels, couvert le pavé de l’enceinte, et enseveli à moitié les corps frémissants des prêtres.
« Ils sont morts, dit Burbo, terrifié pour la première fois, et se rejetant au fond de la chambre. Je ne pensais pas que le danger fût si grand et si fatal. » Les deux misérables se regardèrent l’un et l’autre. On aurait entendu battre leurs cœurs. Calénus, le moins courageux de sa nature, mais le plus avare, se remit le premier.
« Agissons sur-le-champ et fuyons, » dit-il à demi-voix, effrayé lui-même du son de ses paroles. Il mit le pied sur le seuil, s’arrêta, passa sur le pavé brûlant et sur le corps de ses frères, et se dirigea vers la chapelle sacrée, en disant à Burbo de le suivre. Mais le gladiateur frissonna et recula.
« Tant mieux ! pensa Calénus, ma part sera double. » Il se chargea aussi promptement qu’il le put des trésors du temple, les plus faciles àemporter ; et, sans songer davantage à son compagnon, s’élança hors de l’enceinte sacrée. Un grand éclair, lancé soudain par la montagne, montra à Burbo, resté immobile sur le seuil, le prêtre qui s’enfuyait avec son fardeau. Il prit courage ; il s’avança pour le rejoindre, lorsqu’une pluie épouvantable de cendres tomba à ses pieds. Le gladiateur se sentit défaillir encore. L’obscurité l’environna, mais la pluie continuait à tomber avec violence, amoncelant des amas de cendres et exhalant des vapeurs suffocantes et mortelles. Le malheureux ne pouvait plus respirer. Désespéré, il essaya de fuir. Les cendres le bloquaient sur le seuil. Il poussait des cris en sentant la lave bouillante monter sur ses pieds.
Comment se sauver ? Il ne pouvait pas gravir jusqu’à l’espace découvert. Cela eût-il été possible, il n’était plus maître de sa terreur. Mieux valait demeurer dans la cellule, à l’abri au moins des accidents de l’air. Il s’assit et serra les dents. Par degrés, l’atmosphère du dehors, étouffante et pestilentielle, pénétrait jusque dans lachambre ; il n’y pouvait plus résister.
Ses yeux qu’il roulait autour de lui aperçurent une hache de sacrifice, que quelque prêtre avait laissée dans la chambre ; il s’enempara ; avec la force désespérée de son bras gigantesque, il essaya de se faire un passage à travers les murs.
Pendant ce temps-là, les rues étaient devenuessolitaires ; chacun avait cherché un asile, unabri ; les cendres commençaient à remplir les plus basses parties de la cité. Çà et là, pourtant, on entendait les pas de quelques fugitifs, se hâtant avecprécaution ; on voyait leurs figures pâles et hagardes, à la lueur bleue des éclairs, ou bien à celle des torches, au moyen desquelles ils s’efforçaient d’assurer leur marche. Mais de moment en moment, l’eau bouillante ou les cendres qui descendaient, ou quelque vent orageux et mystérieux s’élevait et mourait tout à coup, éteignant ces lumières errantes, et avec elles l’espérance de ceux qui les portaient.
Les derniers jours de Pompéi, Edward Bulwer Lytton, 1859