Une machine à habiter
Le "personnage" central de ce roman de Simon Maver est une maison "moderne" construite par un couple en Tchécoslovaquie à la fin des années 20. Ils confient le chantier à Von Apt, un architecte allemand gagné aux idées nouvelles de Le Corbusier, du Bauhaus ou des artistes hollandais du mouvement De Stijl.
Par le passé, les maisons poussaient de manière organique, comme des plantes, en partant de la terre. Mais celle-ci n’est pas ordinaire : elle pousse de la charpente vers l’extérieur, comme une idée qui se développe jusqu’à devenir une œuvre d’art, partant du noyau central qu’est l’inspiration vers la réalisation matérielle. Les bétonnières tournent et vomissent. Des hommes vont et viennent à pas lourds, des hottes sur les épaules. Les échelles tirent des diagonales strictes sur le squelette rectiligne de la charpente.
Le contremaître déplie un plan et lève une main vers l’étage supérieur où un ouvrier marche en équilibre sur une poutrelle avec autant d’aisance qu’un enfant sur le bord d’un trottoir.
"Il vous faut de vrais murs porteurs, dit-il, pour ce fichu bâtiment soit stable.
Il n’y aura rien de la sorte, répond von Abt avec une bonne humeur remarquable. La stabilité est le contraire de ce que je recherche. Cette maison doit flotter dans la lumière. Elle doit scintiller et briller. Elle ne doit pas être stable ! "
L’homme renifle.
"Ça ressemble plus à une machine qu’à une maison.
C’est exactement cela, une machine à habiter."
Le contremaître secoue la tête à l’idée d’un tel engin. Il veut quatre murs autour de lui, en pierre. Pas de cette structure grotesque en poutrelles d’acier. Ce genre de charpente convient aux immeubles de bureaux – et justement ils en construisent un sur Jánská, mais, bon Dieu ! Ça sera un grand magasin, pas la maison d’un particulier.
"Le Corbusier, dit von Abt.
Quoi ?
Ce que j’ai dit n’a rien d’original. Tout le mérite revient au Corbusier. Il a été le premier à développer l’idée. La machine à habiter.
Qu’est-ce que c’est ?
Français."
Le Palais de verre (The Glass room), Simon Maver, traduit de l’anglais par Céline Leroy, le cherche midi, 2012