La promenade architecturale de la villa Savoye
Cette villa a été construite dans la plus grande simplicité, pour des clients dépourvus totalement d’idées préconçues : ni modernes, ni anciens. Leur idée était simple : ils avaient un magnifique parc formé de prés entourés de forêt ; ils désiraient vivre à la campagne ; ils étaient reliés à Paris par 30 km d’auto.
On va donc à la porte de la maison en auto, et c’est l’arc de courbure minimum d’une auto qui fournit la dimension même de la maison. L’auto s’engage sous les pilotis, tourne autour des services communs, arrive au milieu, à la porte du vestibule, entre dans le garage ou poursuit sa route pour le retour : telle est la donnée fondamentale.
Autre chose : la vue est très belle, l’herbe est une belle chose, la forêt aussi : on y touchera le moins possible. La maison se posera au milieu de l’herbe comme un objet, sans rien déranger.
Si l’on est debout dans l’herbe, on ne voit pas très loin l’étendue. D’ailleurs, l’herbe est malsaine, humide, etc., pour y habiter ; par conséquent, le véritable jardin de la maison ne sera pas sur le sol, mais au-dessus du sol, à trois mètres cinquante : ce sera le jardin suspendu dont le sol est sec et salubre, et c’est de ce sol qu’on verra bien tout le paysage, beaucoup mieux que si l’on était resté en bas.
Dans nos climats tempérés, avec pluies fréquentes, il est utile d’avoir un jardin dont le sol soit sec instantanément ; le sol du jardin est donc en dallage de ciment, posé sur du sable, assurant un drainage instantané des eaux pluviales.
Mais on continue la promenade. Depuis le jardin à l’étage, on monte par la rampe sur le toit de la maison où est le solarium.
L’architecture arabe nous donne un enseignement précieux. Elle s’apprécie à la marche, avec le pied ; c’est en marchant, en se déplaçant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture. C’est un principe contraire à l’architecture baroque qui est conçue sur le papier, autour d’un point fixe théorique. Je préfère l’enseignement de l’architecture arabe.
Dans cette maison-ci, il s’agit d’une véritable promenade architecturale, offrant des aspects constamment variés, inattendus, parfois étonnants. Il est intéressant d’obtenir tant de diversité quand on a, par exemple, admis au point de vue constructif un schéma de poteaux et de poutres d’une rigueur absolue.
La construction est faite sur un jeu de poteaux équidistants, portant des chevalets qui, eux-mêmes, supportent des poutrelles régulières à égales : ossature indépendante, plan libre.
Le Corbusier, Œuvre complète, volume 2, 1929-1934.