Miniatures indiennes
L’empire moghol marque l’apogée de l’expansion musulmane en Inde. Il fut fondé par Babur en 1526. Cependant, l’âge d’or de l’art moghol appartient aux règnes de ses successeurs, Akbar, Jahangir et Shah Jahan, contemporains des premiers Bourbons, Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.
A travers ces miniatures, on voit parfois coexister trois influences : celle des artistes musulmans venus de Perse, celle des peintres hindous autochtones, celle enfin des modèles européens, diffusés par les missionnaires jésuites.
Mots-clés
Dames se balançant dans un décor champêtre
Le thème de l’escarpolette (ou balançoire) a souvent inspiré les peintres indiens. Ici, l’artiste a représenté des femmes et un enfant qui profitent de la halte de leurs palanquins pour se reposer et ont suspendu une corde à la branche d’un arbre afin de pouvoir s’y balancer.
Bernier, dans son Voyage de Kachemire, relatait comment les dames du Sérail se faisaient transporter : certaines dans un brancart peint et doré ; d’autres en palanquin couvert de filets de soie ; d’autres en grandes litières portées par des chameaux et des éléphants ; certaines, enfin, à dos d’éléphant.
© Bibliothèque nationale de France
Dames écoutant de la musique au bord d’un lac
Les deux femmes représentées assises sur un tapis, sous un dais, écoutent deux musiciennes dont l’une joue d’un luth à quatre cordes et l’autre frappe un tambour. Une servante prépare de la boisson.
© Bibliothèque nationale de France
Dames dans le jardin d’un palais
La présence de la lune et des étoiles dans le ciel, de même que celle d’une bougie sur la terrasse, montrent qu’il s’agit d’une scène nocturne. Cette dame et ses suivantes ont apprêté un repas nocturne à l’occasion d’une fête.
© Bibliothèque nationale de France
Davalpa monté sur un homme
Cette image provient d’une version illustrée du célèbre traité encyclopédique ‘Aja ‘ib al-makhlukat ( « Merveilles de la création » ), rédigé en arabe par Qazvini (1203-1283) et dans lequel il décrit le monde, les astres, les signes du zodiaque, les peuples étranges, les animaux du ciel, de la terre et de la mer, les minéraux, la flore, mais aussi les monstres, combinaisons d’hommes et d’animaux, les êtres fantastiques (houri, dragon, djinn, pygmée, ours avec une tête de poisson, homme de Jabeh, avec la tête sur le tronc…). Ici, un homme porte sur ses épaules un davalpa, sorte d’elfe souvent malveillant qui fit son apparition dans l’imaginaire oriental vers le 9e siècle, et plus particulièrement en Perse. Le davalpa décrit par Qazvini appartient au peuple de la mer de Chine. Cette étrange créature ressemble à un être humain, mais ses jambes molles et sans os (ou « jambes de cuir » ) ne peuvent le porter : aussi pour se déplacer doit-il monter sur un homme qui devient son esclave. Qazvini place les davalpa dans le Mazandaran, région qu’habitent les sagsar (cynocéphales).
© Bibliothèque nationale de France
Zal intercède auprès du Simurgh pour qu’il sauve son fils Rustam
Dans un paysage, influencé par l’art persan, un oiseau fabuleux, le Simurgh, vole vers un vieillard, le prince Zal, qui lui demande de sauver son fils Rustam, « éléphant de guerre », cruellement blessé ainsi que son fidèle destrier Raksch dans son combat contre Isfendiar, « le héros illustre au corps d’airain ». Des canards et un poisson peuplent le ruisseau au premier plan, tandis que çà et là, des perdrix parsèment les rochers roses. Cette miniature illustre de façon extrêmement précise un épisode du Shah Nameh ou « Livre des Rois », épopée nationale persane à la gloire des anciens rois d’Iran et de leurs exploits légendaires, qui fut mis en forme par Firdousi ( « le Paradisiaque » ) au 11e siècle.
« (…) Zal monta sur une haute montagne ; il apporta de son palais trois cassolettes remplies de feu, et trois hommes pleins de prudence l’accompagnèrent. Quand le magicien fut arrivé sur la crête de la montagne, il tira d’un morceau de brocart une plume, attisa le feu dans une des cassolettes, et brûla au-dessus de ce feu un bout de la plume. Lorsqu’une veille de cette nuit sombre fut passée, on aurait dit que l’air devenait comme un nuage noir. Le Simourgh regarda du haut des airs, il vit la lueur de ce feu ardent devant lequel était Zal, le cœur ulcéré de douleur ; l’oiseau s’approcha en décrivant des cercles, et Zal se leva avec ses trois hommes qui brûlaient de l’encens, bénit l’oiseau à plusieurs reprises et l’adora. Il remplit les trois cassolettes de parfum devant lui, et inonda ses joues du sang de son cœur ».
Dès la formation de l’atelier impérial moghol dans la seconde moitié du 16e siècle, la composition des miniatures s’organise sur trois plans superposés verticalement. En général, comme ici, la scène principale se situe au second plan, à la hauteur des yeux du lecteur.
© Bibliothèque nationale de France
L’empereur Jahangir admire une peinture que lui présente Abul-Hasan
Le peintre Abul-Hasan présente son œuvre à l’empereur Jahangir (règne : 1605-1627), assis sur un tapis, au centre d’une pièce à colonnes de grès rose. Sur le mur du fond, des niches appelées chini khana abritent des bouteilles. Au centre s’ouvre une porte en bois, à demi recouverte d’une tenture mauve à motif de fleurs qu’encadrent des plinthes jaunes bordées de marbre noir incrusté. Trois hommes assistent à cette présentation. Jahangir est appuyé sur un coussin bleu et une fine dague est accrochée par un cordon à son patka (ceinture). Le peintre porte un châle vert bordé d’orange. De tous les empereurs moghols, Jahangir fut le plus grand amateur d’art, se vantant de reconnaître sur une miniature chaque artiste qui y avait travaillé : « Je prends un tel plaisir et j’ai acquis une telle compétence en la matière que devant une peinture, même si le nom de l’artiste n’est pas mentionné, qu’il s’agisse de l’œuvre d’un maître ancien ou de celle d’un contemporain, je peux instantanément en reconnaître l’auteur et, s’il s’agit d’une composition réalisée par plusieurs maîtres, je peux dire qui a peint le visage, qui a dessiné les yeux et lequel a tracé les sourcils » (Janhangir nama).
Esthète raffiné et mécène prodigue, Jahangir sut s’entourer d’artistes talentueux, qu’il gratifia souvent de surnoms élogieux : Abul-Hasan reçut ainsi le titre de Nadir az-Zaman, « Merveille de l’époque ». La pratique, courante à l’époque de son prédécesseur Akbar, d’une collaboration entre plusieurs artistes pour une même œuvre, disparaît au profit de miniatures dues à un seul et souvent signées. La mode est désormais aux scènes intimistes, aux planches animalières ou botaniques, ainsi qu’aux figures isolées, réalistes, se détachant sur un fond uni. Valant pour elles-mêmes, indépendamment d’un récit auquel elles serviraient d’illustration, ces peintures sont destinées à être montées en albums (muraqqa) pour la délectation de l’empereur.
© Bibliothèque nationale de France
L’empereur Shah Jahan tenant un iris
L’empereur Shah Jahan est vêtu d’un riche jama en lamé or, brodé de fleurs rouges et porte des babouches de la même couleur. Il tient un iris dans la main gauche, et, dans l’autre, un sabre dressé, dans un fourreau vert et rouge brodé d’or ; un katar (ou poignard) est glissé dans sa ceinture. L’iris est une fleur quasi dynastique, très souvent représentée dans l’art indo-persan et emblématique chez les Moghols. Contrairement à ses prédécesseurs qui refusaient de la porter, Shah Jahan porte la barbe des musulmans orthodoxes.
Bien que dominé par l’architecture, le règne de Shah Jahan n’en fut pas moins une période faste pour l’ensemble des arts décoratifs. L’un des symboles de la splendeur de la cour du Grand Moghol est sans conteste le célèbre trône du Paon, entièrement réalisé en or incrusté de pierres précieuses (1628-1635), qui servira aux empereurs durant un siècle. Grand lettré et lui-même calligraphe, Shah Jahan favorisa également l’art du livre et de la miniature. Le genre du portrait de cour domine alors, en apparente contradiction avec les principes de l’Islam orthodoxe qui interdit la représentation de la figure humaine. Les premiers exemples de portraits datent de l’époque d’Akbar : les visages tendent peu à peu à s’individualiser grâce à une carnation différente, à une barbe ou à des moustaches ; les silhouettes graciles héritées de l’art persan gagnent en volume. Mais c’est sous Jahangir, puis Shah Jahan que le portrait de cour, réaliste, s’impose. Les peintres adoptent, comme ici, le profil au détriment de la représentation de trois quarts, moins lisible. Un certain hiératisme de la figure humaine domine, accentué par la monochromie relative des fonds. Il est l’exact reflet d’une vie de cour régie par l’étiquette et la hiérarchie des rangs. Ainsi conçu, le portrait exalte la dignité et la grandeur de son commanditaire. À la finesse de l’observation psychologique, manifeste sous Akbar et Jahangir, se substitue progressivement sous Shah Jahan une raideur de convention.
© Bibliothèque nationale de France
Khwaja Asim Samsam ud-Daula Khan Dauran
Vêtu de blanc et assis de profil sur une terrasse de palais fermée d’une balustrade rouge, Khwaja Asim, Samsam ud-Daula Khan Dauran fume une pipe à eau en verre bleu et or posée sur un tapis. Un eunuque l’évente avec un chasse-mouches, tandis que cinq musiciennes, l’une jouant du tambour et une autre de petites cymbales se tiennent debout devant lui. N’ayant pas accès au harem, les peintres moghols ont toujours représenté de manière impersonnelle princesses et courtisanes.
© BnF
Visite du chanteur soufi Shir Muhammad auprès d’Abul Hasan Qutb Shah
Sur une terrasse, agrémentée d’un bassin carré et surplombant un lac que l’on devine entre les arbres, le futur sultan Abul Hasan est assis en compagnie du chanteur soufi Shir Muhammad Nawai dont le tanpu ra est à terre. Ils sont en compagnie de trois assistants et entourés d’objets raffinés, aiguière, porcelaine de Chine, sabres, coussins, tandis qu’un serviteur, debout derrière le sultan, agite un chasse-mouches.
Le soufisme est un mouvement spirituel, mystique et ascétique de l’Islam.
© BnF
L’empereur Bahadur Shah (?) monté sur un éléphant
Il s’agit probablement de l’empereur Bahadur Shah Ier (règne : 1707-1712), auréolé, assis dans un howdah ajouré et doré fixé sur le dos d’un éléphant richement caparaçonné, couvert de draperies brochées. L’empereur est protégé par un large écran doré. Le cornac et l’assistant qui tient un morchhal sont, comme l’empereur, revêtus de cottes de mailles que recouvrent des armures de type oriental dites « quatre miroirs », car composées de quatre plaques de métal. Leurs avant-bras sont aussi gainés dans des formes métalliques appelées dastana. Quatre hommes à pied, en groupe serré, suivent l’éléphant dont les défenses sont ornées de clochettes. Au fond, un paysage de collines verdoyantes.
Animal pieux, sage, chaste et charitable selon les auteurs antiques, souvent associé à la royauté (il fut l’emblème de Jules César ! ), l’éléphant symbolise en Inde la force, le luxe, l’équanimité. L’un des illustres prédécesseurs de Bahadur Shah Ier, l’empereur Akbar attachait beaucoup d’importance aux pachydermes qui selon lui étaient « bâtis comme une montagne et dotés du courage et de la férocité du lion ». Il avait même établi une réglementation précise pour l’entretien des centaines d’éléphants installés dans les écuries impériales. Ce n’est qu’avec l’ouverture des routes maritimes vers l’Inde à la fin du 15e siècle que les européens se familiarisèrent avec l’animal. En 1514, le roi Manuel Ier du Portugal en possédait plusieurs et en offrit un au pape Léon X. Le roi de France Henri IV s’en fit ramener un des Indes qu’il trouva bientôt un peu trop encombrant : il s’en débarrassa en l’offrant à la reine d’Angleterre Elisabeth Ire !
© Bibliothèque nationale de France
Yogi au bord d’un fleuve
Un yogi est assis sur une peau de lynx, devant un feu, à l’ombre d’un saule pleureur. L’ascète aux jambes croisées est un motif fréquent de la peinture moghole au 18e siècle.
Mots-clés
© BnF
Nayika près d’une grue cendrée
La musique a toujours occupé une place de choix dans les miniatures indiennes, où concerts et portraits de musiciens se rencontrent fréquemment. Mais un genre tout à fait spécifique à la peinture indienne est la représentation iconographique de la musique elle-même : ce sont les ragas (terme d’origine sanskrite qui signifie littéralement "rougeoiement", "affection", "émotion") qui font l’objet d’illustrations visuelles et ces images sont souvent rassemblées dans des albums appelés "guirlande de ragas" (ragamala). Le raga entre en correspondance avec une émotion suscitée chez l’auditeur par la musique ; il est en accord avec une heure, un jour, une saison.
Muhammad Khan Bangash
Muhammad Khan Bangash, sur une terrasse recouverte d’un superbe tapis, est adossé à plusieurs coussins dorés à fleurs, à l’abri d’un dais également doré. Devant lui sont assises quatre musiciennes aux longs saris à rayures verticales dorées ; debout, derrière lui, une suivante agite un chasse-mouches. Cette page est un bon exemple du renouveau de l’art de la miniature en plein 18e siècle.
© Bibliothèque nationale de France
Quarante cartes à jouer ou gangifa mogholes
- Direction éditoriale
Françoise Juhel, Éditions multimédias, BnF
Édition
Nathalie Ryser, Pierre-Emmanuel Jouanneau, Éditions multimédias, BnF
Traitement iconographique
Gisèle Nedjar, Éditions multimédias, BnF
Fichiers numériques réalisés par le département Reproduction de la BnF
© Bibliothèque nationale de France, 2 014
Tous droits réservés