Les grèves de 1845

— dans La Revue des deux mondes

C’est aux charpentiers qu’appartient à cette époque la palme de l’agitation. Ils étaient organisés en confréries puissantes, qui jouaient à peu près le même rôle que jouent aujourd’hui les trade’s unions en Angleterre. En 1832, au moment où le travail, interrompu par la révolution, reprenait de l’activité, les ouvriers charpentiers mirent en interdit pour cinq ans les ateliers d’un entrepreneur contre lequel ils prétendaient avoir des griefs. Neuf mois après, le même corps d’état formait une coalition générale. En 1841 et 1842, nouvelle agitation chez les travailleurs de la charpente, puis explosion d’une grève immense en 1845 ; elle éclate à la fin de mai, alors que les commandes étaient nombreuses et pressantes ; 7 500 charpentiers, dont le plus grand nombre appartenaient aux confréries du devoir ou de la liberté, y prirent part ; elle dura trois mois.
L’on se doute bien que ces circonstances n’étaient pas propres à « faire aller, comme on dit, le bâtiment. » Aussi les maçons, les serruriers, les menuisiers, qui ne réclamaient pas, durent cependant se croiser les bras. Il en est des guerres industrielles comme des guerres politiques, elles atteignent et blessent les intérêts non seulement des belligérants, mais encore des neutres eux-mêmes ; à tous, elles apportent la gêne ou la ruine. Les patrons finirent par capituler, et les ouvriers charpentiers eurent gain de cause.

Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 86.