La grève des charpentiers
À ce moment, nous étions au plus fort de la grande grève des charpentiers.
Pour remplacer les ouvriers grévistes, que fit le gouvernement ? Il ne trouva rien de plus logique que de les remplacer par des soldats. Le jour où ces derniers firent acte de présence sur le chantier, le maître charpentier, en présence de l'inspecteur Gancel et de mon patron, me dirent que si ces soldats avaient besoin d'échafauds et de cordages je n'avais qu'à les leur procurer. Je leur répondis que je n'en feints rien. – "Ah ah me dit mon patron, vous nous dites que vous n'en ferez rien eh! bien nous allons voir" ; "A votre volonté, patron." Sur ces mots je me retirai. Un instant après il m'appela dans son bureau et me demanda quelles pouvaient être les raisons qui m'amenaient à lui désobéir.
Je lui rappelai la brutale conduite que le gouvernement avait tenue à notre égard lors de notre grève de 1840 on avait eu aussi recours à l'armée pour nous disperser."– Que ces soldats travaillent, lui dis-je, je n'ai pas le pouvoir de les en empêcher, mais leur aider en quoi que ce soit, je ne le ferai pas, ni aucun des hommes que j'ai embauchés chez vous." – Ah la mauvaise tête, on m'avait bien dit que vous étiez républicain. Pauvres ouvriers, on vous égare, ceux, qui vous mènent se moquent de vous et vous n'y voyez goutte."
Comme je m'aperçus qu'il n'avait pas l'intention de me mettre le marché à la main, je sortis de son bureau sans nulle autre explication telle fut la part que je pris dans cette grande controverse entre les maîtres charpentiers et leurs ouvriers.
Il plut au ministère d'ordonner l'arrestation de plusieurs ouvriers charpentiers. Les journaux du parti libéral avancé blâmèrent hautement le gouvernement. Du côté du peuple il n'y eut qu'un cri pour maudire Louis-Philippe et son ministère.
Le grand avocat Berryer n'hésita pas à prendre la défense des ouvriers, et malgré la grande autorité dont il jouissait au palais il ne put éviter leur condamnation.
On voyait donc éclater tous les jours, dans une circonstance ou dans l'autre, les mauvais desseins que le gouvernement nourrissait contre le peuple ces canailleries, cependant, ne lui réussissaient pas toujours et souvent même ses indignes procédés ne se tournaient contre lui.
Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, 1895