L’Opéra
Suite à l’incendie qui détruisit, en 1781, le théâtre du Palais-Royal, Boullée propose un projet monumental qu’il situe dans un large espace entre le Louvre et le Carrousel.
La perspective met en scène l’arrivée à l’opéra du cortège royal. De forme circulaire, la salle de spectacle se réfère explicitement aux temples rotondes de l’Antiquité.
Le projet de l’opéra
Les trois coupes de l’opéra éclairent la compréhension du projet et mettent en valeur l’art de Boullée. Leur dessin est le prétexte à une mise en scène grandiose et théâtrale de l’intérieur du bâtiment par des jeux d’échelle et de lumière qui dépassent la stricte représentation technique. L’intérieur de l’opéra est présenté dans son axe longitudinal puis transversal depuis la salle et depuis la scène dans trois dessins différents. Le tracé de la structure fait apparaître des volumes simples animés par des jeux d’éclairage, dans lesquels s’articulent les éléments traditionnels d’un tel programme et des propositions originales. Boullée parvient, au travers de ces coupes, à associer au dessin d’architecte une dimension plastique et narrative qui illustre bien la poétique de son art.
La structure du bâtiment
La structure de l’opéra de Boullée répond pour une grande part aux exigences du programme d’un équipement de cette envergure. La salle forme un demi-cercle. Ce choix hérité des théâtres grecs est justifié par le fait que "les rayons parfaitement distribués laissent jouir l’oreille et les yeux de la liberté la plus grande". À cette demi-sphère répond l’arc monumental de la scène. L’espace scénique demeure toutefois plus profond qu’il n’est large. La structure du bâtiment tient compte également des impératifs de sécurité qui s’imposent à l’époque afin d’éviter les trop nombreux incendies de salles de spectacle (incendies de l’opéra du Palais-Royal). L’édifice, entièrement en pierre, veut parer à cette éventualité. Seule la scène est réalisée en bois et peut, par un système ingénieux, être précipitée dans un réservoir d’eau en contrebas si par hasard elle venait à prendre feu. L’utilisation de la pierre permet par ailleurs à l’architecte d’accentuer la monumentalité de l’édifice grâce à une série de voûtes majestueuses qui couvrent la salle. Boullée se réfère ici implicitement à l’architecture gothique dans son aspect le plus aérien. Grâce à un subtil jeu d’ombres, il donne l’illusion de faire flotter la salle entre un sous-sol obscur et un dôme aux allures de voûte céleste. À l’instar d’une cathédrale gothique, la nef (ici, la grande coupole) est tenue par la masse des galeries annulaires des circulations et des foyers. Le choix de ce type de structure illustre la permanence de traditions déjà mises en œuvre précédemment par Soufflot (1713-1780) à Sainte-Geneviève. Comme lui, Boullée habille à l’antique ce dispositif "gothique" et donne ainsi un caractère moderne à son opéra.
L’architecte s’impose une série de contraintes dans la réalisation de son projet qui engendrent des surdimensionnements sans rapport avec les nécessités du programme. Le volume du dôme monumental, qui embrasse la salle et la scène, dépasse par ses dimensions celui du Panthéon de Rome sans avoir pourtant l’épaisseur qui permettrait de le porter (détail coque dôme). Il y a là une recherche plastique délibérée de l’architecte, mettant en scène en tant que peintre autant que comme architecte, une gigantesque structure.
L’architecte s’impose une série de contraintes dans la réalisation de son projet qui engendrent des surdimensionnements sans rapport avec les nécessités du programme. Le volume du dôme monumental, qui embrasse la salle et la scène, dépasse par ses dimensions celui du Panthéon de Rome sans avoir pourtant l’épaisseur qui permettrait de le porter (détail coque dôme). Il y a là une recherche plastique délibérée de l’architecte, mettant en scène en tant que peintre autant que comme architecte, une gigantesque structure.
Accès et circulations
La série des coupes montre les différents accès à la salle. Leur variété et leurs qualités respectives reflètent l’éventail des couches sociales auquel s’adresse l’édifice. Tout d’abord l’entrée par les massifs encadrant le grand escalier extérieur qui supportent les sculptures allégoriques des "renommées" puis celui situé sur l’axe longitudinal du bâtiment :
L’accès au parterre (ou "parquet" selon Boullée) s’effectue par les soubassements des renommées. Ces entrées sont réservées aux spectateurs qui montent un escalier particulier et regagnent leurs places ainsi qu’aux domestiques qui attendent leurs maîtres dans un grand corridor annulaire tout autour de la salle de spectacle. Le "parterre assis" ou "parquet" est une nouveauté au 18e siècle et apparaît comme un progrès sensible. Auparavant, les spectateurs, debout, étaient toujours une source d’agitation et fomentaient des cabales contre les spectacles. Boullée, bien conscient de la chose, représente d’ailleurs un garde armé en uniforme surveillant le parterre. Le public plus fortuné se répartit aux différents balcons et accède aux loges par le grand escalier extérieur puis pénètre dans le vestibule et va prendre place dans les gradins. Les spectateurs des balcons supérieurs empruntent des escaliers répartis autour de la salle.
À l’entracte, les spectateurs gagnent les foyers dont le décor varie selon la qualité de leurs occupants. Ainsi, le foyer du parquet présente-t-il une ornementation austère de pierres appareillées ainsi qu’un entablement dorique alors que le foyer destiné aux balcons supérieurs offre des boiseries, miroirs et cheminées, signes d’un confort auquel seuls les privilégiés ont accès. Enfin, le public du poulailler peut se réunir à l’entracte sous les combles, dans les espaces laissés libres par le contre-butement de la salle.
La machinerie
La coupe met en lumière le mécanisme d’un opéra : l’orchestre prend place devant la scène disposée selon un pan incliné destiné à accélérer la perspective et ainsi augmenter la profondeur de champ pour le spectateur. Cette illusion est renforcée par le décor porté sur les cintres disposés parallèlement dans la cage de scène. Boullée, bien conscient que de l’illusion dépend la réussite du spectacle, propose au travers de ce projet un véritable manifeste pour un théâtre idéal. Afin d’obtenir une certaine vraisemblance, il laisse à la disposition un vaste espace de dessous de scène et multiplie les cintres. Cependant, malgré ces efforts, l’architecte avoue qu’il n’offre guère de solutions innovantes, en particulier dans les parties hautes pour les décors de ciel.
La salle
La coupe de la salle décrit de façon très précise la salle de spectacle projetée par Boullée. Elle est séparée en trois parties : le parterre ou parquet, les balcons au nombre de trois, reliés par un portique ionique et une coupole à caissons dont les trois premiers rangs abritent trois autres niveaux où s’entassent les spectateurs. Grâce à la colonnade, Boullée sépare les différentes loges, sans transformer la salle en "cage à poulets", critique fréquente alors. Les colonnes d’ordre ionique évoquent la divinité féminine (Vénus) qu’abrite le théâtre dans l’imaginaire de l’architecte. L’architecte propose un théâtre idéal dans lequel tous les spectateurs voient correctement le spectacle. Pour ce faire, il adopte la forme semi-circulaire qui renvoie au théâtre antique et permet une visibilité optimale d’où que l’on soit dans la salle et ouvre le plus largement possible la scène qui "ne saurait offrir au décorateur un espace trop vaste". Par ailleurs, Boullée donne au parterre une pente qui permet également de ne pas être dérangé par le spectateur du rang devant soi. L’ensemble apparaît véritablement monumental grâce à la grande continuité du décor de colonnes et à la multiplication de lignes horizontales qui ont pour effet de dilater l’espace, prolongé verticalement par les lignes des caissons de la voûte.
Derrière les images
Au-delà d’un simple projet d’opéra, Boullée développe au travers de ses dessins sa vision poétique de l’art et des spectacles. Ainsi envisage-t-il l’opéra comme un temple de Vénus et justifie par là la présence des renommées, à l’extérieur, de part et d’autre du grand escalier, "faites pour accompagner les muses au temple du goût". Ainsi, dans les coupes de l’opéra, les spectateurs viennent à la fois rendre hommage à la beauté et assister au spectacle. C’est d’ailleurs une cérémonie liée à ce culte qui se joue sur la scène, dans le cadre d’un autre projet de l’architecte : celui de l’église métropole transformée pour l’occasion en temple païen. Les musiciens entourent le chef d’orchestre au pied de la scène sur laquelle les acteurs, assemblés autour d’un autel, rendent un sacrifice à la divinité. Cette coupe illustre parfaitement la symbiose entre spectacle et culte de l’Antiquité.