Histoire de l’opéra Garnier
En 1858, Napoléon III échappe de peu à un attentat à la bombe perpétré par trois anarchistes italiens, en se rendant à une représentation de l’opéra de la salle Le Peletier. Il décide dans la foulée de faire construire un nouvel opéra aux accès plus sécurisés, profitant ainsi du fait que la capitale, livrée au chantier haussmannien, est déjà un vaste chantier.
Une inscription contrainte dans le chantier haussmannien
L’emplacement de ce nouveau monument dédié à l’art lyrique est choisi en 1858, en fonction du tracé d’une des voies déjà prévues par le baron Haussmann. Ce qui deviendra l’avenue de l’Opéra doit rejoindre le Louvre, à travers une percée dans les vieux quartiers du centre de la capitale. Planté au bout de cette vaste avenue, le nouvel opéra en parachèvera la perspective en faisant face au Palais du Louvre. On retrouve dans cette disposition le goût haussmannien pour des voies larges et rectilignes, à la croisée desquelles trônent des monuments imposants, symboles du pouvoir. Haussmann a déjà prévu l’emplacement du nouvel opéra, et lui a assigné un espace bien précis : l’opéra devra s’inscrire dans un losange délimité par les rues qui le longent, même si cette disposition n’offre aucune vision d’ensemble sur l’édifice, plus large que l’avenue. Garnier doit même modifier ses plans au dernier moment quand il apprend que les immeubles alentour dépassent de 5 m la hauteur standard des immeubles haussmanniens. L’attique (dernier étage) de l’opéra aurait été plus bas que les immeubles voisins !
Le concours : 171 candidats, un lauréat inconnu
Le concours pour le nouvel opéra, l’un des premiers en architecture, est lancé en décembre 1860, pour une construction de 10 000 m2 s’étirant sur 150 m entre le boulevard des Capucines et la rue de la Chaussée-d’Antin. 171 réponses sont adressées au jury qui les étudie pendant près d’un an. Certaines proviennent d’architectes très reconnus et proches du pouvoir comme Eugène Viollet-le-Duc, restaurateur de monuments médiévaux célèbres (Carcassonne, Notre-Dame de Paris ou le château de Pierrefonds). Mais c’est le jeune Charles Garnier, 35 ans et un seul immeuble à son actif, qui est finalement retenu ! Architecte à la ville de Paris, il dirige néanmoins le percement du boulevard de Sébastopol et a été élève de Viollet-le-Duc. Son projet repose par une étude approfondie des plus grandes salles de spectacle d’Europe. Il séduit le jury par sa cohérence et sa rationalité. Derrière la façade principale place de l’Opéra, les différents volumes de l’édifice se succèdent, reflétant exactement le fonctionnement de la salle de spectacle : entrée et accueil des visiteurs, grand escalier, salle de spectacle, scène, arrière-scène, espaces administratifs. Sur le côté gauche, une aile est entièrement dévolue à l’accueil de l’empereur, avec une entrée monumentale qui lui permettra de se rendre au spectacle en toute sécurité. L’aile opposée, moins majestueuse, est réservée aux abonnés. C’est là la seule entorse à la symétrie parfaite qui préside à la conception de tout l’édifice.
Le chantier
Charles Garnier est nommé architecte du nouvel opéra le 6 juin 1861. Moins de deux mois plus tard, le 27 août, les travaux de terrassement démarrent, mais il faut passer par une phase d’assainissement du terrain longue de plusieurs mois. En effet, les creusements révèlent une nappe souterraine alimentée par des ruisseaux dévalant des hauteurs de Ménilmontant. Pendant huit mois, des pompes à vapeur assainissent les sous-sols, puis Garnier y fait construire un réservoir de béton rempli d’eau, pour compenser la pression de la nappe phréatique, stabiliser le sol et étanchéifier le futur opéra. Ce dispositif aussi imposant qu’imprévu donnera naissance à la légende du lac souterrain sous l’édifice, mais aujourd’hui encore il sert de réservoir d’eau aux pompiers de l’opéra.
La première pierre est posée le 13 janvier 1862, puis six mois plus tard, la première pierre apparente. En 1863, les travaux du premier étage débutent. L’objectif est d’inaugurer l’opéra pour l’exposition universelle de 1867, mais à cette date, si la façade est achevée, la toiture ne l’est pas encore, et ne le sera qu’en 1869. En septembre 1870, le chantier est stoppé suite à la guerre contre la Prusse et la chute de Napoléon III. L’opéra inachevé devient une réserve de nourriture pour l’armée. Les travaux ne reprennent qu’en 1873, suite à l’incendie de la salle Peletier. Pour la toute jeune IIIe République, il devient alors urgent de disposer d’une salle de spectacle. L’opéra Garnier est finalement inauguré pour la seconde fois en 1875, 15 ans après le début du chantier. Au programme de la soirée d’ouverture figurent non pas une seule pièce, mais des extraits variés, afin de présenter un large échantillon d’œuvres musicales. Charles Garnier y est très applaudi, mais l’histoire retiendra aussi que, n’ayant pas reçu d’invitation, il a dû acheter son billet !