Aujourd’hui l’égout est propre, froid, droit, correct…
C’est avec beaucoup d’ironie que Victor Hugo dépeint la trompeuse propreté des nouveaux égouts de la rue de Rivoli.
"Aujourd’hui l’égout est propre, froid, droit, correct. Il réalise presque l’idéal de ce qu’on entend en Angleterre par le mot « respectable ». Il est convenable et grisâtre ; tiré au cordeau ; on pourrait presque dire à quatre épingles. Il ressemble à un fournisseur devenu conseiller d’État. On y voit presque clair. La fange s’y comporte décemment. Au premier abord, on le prendrait volontiers pour un de ces corridors souterrains si communs jadis et si utiles aux fuites des monarques et des princes, dans cet ancien bon temps "où le peuple aimait ses rois". L’égout actuel est un bel égout ; le style pur y règne ; le classique alexandrin rectiligne qui, chassé de la poésie, paraît s’être réfugié dans l’architecture, semble mêlé à toutes les pierres de cette longue voûte ténébreuse et blanchâtre ; chaque dégorgeoir est une arcade ; la rue de Rivoli fait école jusque dans le cloaque.
(…) Ce qu’on appelait boyau, on l’appelle galerie ; ce qu’on appelait trou, on l’appelle regard. Villon ne reconnaîtrait plus son antique logis en-cas. Ce réseau de caves a bien toujours son immémoriale population de rongeurs, plus pullulante que jamais ; de temps en temps, un rat, vieille moustache, risque sa tête à la fenêtre de l’égout et examine les Parisiens ; mais cette vermine elle-même s’apprivoise, satisfaite qu’elle est de son palais souterrain. Le cloaque n’a plus rien de sa férocité primitive."
Victor Hugo. Les Misérables.