L’Inde (sans les Anglais)
Au loin dans les plaines, on voit des coupoles blanches, de cette blancheur diaphane des marbres qu’aucune peinture, aucun revêtement ne saurait imiter ; elles émergent çà et là du brouillard de poussière qui traîne le sol, et qui bleuit ou s’irise avec le soir (…) Et le plus grand de ces dômes est le Taje, l’incomparable Taje, où la grande sultane Muntaz Mahal dort depuis deux cent soixante-dix ans (…) Des miniatures, des émaux nous ont conservé les traits, sous le turban doré et l’aigrette étincelante, de cette Muntaz Mahal qui inspira tant d’amour, et du sultan son époux", l’empereur Shah Jahan, "qui", en voulut créer autour de la morte une splendeur tellement inouïe. Le Taje, c’est, dans un grand parc funéraire muré comme une citadelle, le plus gigantesque et le plus impeccable amas de marbre blanc qui soit au monde. Les murailles du parc sont en grès rouge, ainsi que les hautes coupoles, incrustées d’albâtre, qui s’élèvent au-dessus des portes extérieures, aux quatre angles du vaste enclos. Les allées – palmiers et cyprès –, les pièces d’eau, les charmilles ombreuses, tout est tracé en lignes droites et sévères. Et là-bas, au fond, trône superbement l’idéal mausolée, d’une blancheur plus neigeuse encore au-dessus de ces verdures sombres (…) Sous la coupole (…) de soixante-quinze pieds de haut, qui abrite le sommeil de la sultane, c’est l’excès de la simplicité superbe, le summum de la splendeur blanche. Il devrait faire sombre là, et il fait clair, comme si toutes ces blancheurs rayonnaient, comme si ce grand ciel de marbre, taillé à mille facettes, avait on ne sait quelle vague transparence (…) À la base seulement et tout autour des précieuses murailles, il y a comme un parterre de grands lis, dont les tiges semblent sortir du sol et dont les pétales, sculptés en haut relief et en plein marbre, ont l’air prêts à s’effeuiller…
Pierre Loti, L’Inde (sans les Anglais), Paris, 1903, Gaston Leroux.