Les Trente Glorieuses : une architecture entre utopie et high-tech
Après la Seconde Guerre mondiale et la reconstruction, un essor économique sans précédent touche les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Durant ces "Trente Glorieuses" (de 1946 à 1975), on assiste à l’amélioration du niveau de vie, à l’émergence de la société de consommation, au développement des médias (télévision) et à la généralisation des transports (voiture, avion) désormais accessibles pour une catégorie grandissante de la population appelée classe moyenne. L’architecture suit ce mouvement…
Une utopie réalisée
Quelques architectes visionnaires proposent des architectures qui invitent à réfléchir à ces transformations et à l’avenir de la société. Ils s’inspirent des bandes dessinées de science-fiction, imaginent des structures géantes, démontables, permanentes ou temporaires, où se dérouleraient des concerts, des spectacles, des projections, des expositions, des festivals… Ces architectures restent, pour la quasi-totalité d’entre elles, sur le papier. Mais ces utopies nourrissent la réflexion et stimulent l’imaginaire. C’est le cas du collectif britannique Archigram et de Peter Cook, source d’inspiration importante pour Renzo Piano et Richard Rogers. Ces derniers reprennent l’idée d’une architecture de l’événement, aux façades colorées et dynamiques grâce à des projections de lumières et d’images animées. On relève aussi un goût marqué pour l’architecture métallique, pour la technologie, les nouveaux supports d’information et les médias. Ainsi, le centre Pompidou peut apparaître comme la meilleure concrétisation des théories que Peter Cook avait développées dans les années 1960.
L’architecture high-tech
Nés dans les années 1930, Renzo Piano et Richard Rogers ont grandi à une époque où les sciences et techniques se déploient à une échelle spectaculaire. L’aventure aérospatiale (c’est en juillet 1969 qu’Apollo 11 réussit sa mission sur le sol lunaire) s’inscrit dans le quotidien des Occidentaux grâce à la radio et la télévision qui équipent un nombre croissant de foyers. Ces inventions et explorations nourrissent la culture populaire avec par exemple le fameux volume de Tintin, On a marché sur la Lune. C’est l’époque où le genre de la science-fiction explose dans la littérature, la bande dessinée et le cinéma.
Dans le domaine de la construction et de l’architecture, plusieurs personnalités endossent le rôle de mentors pour les jeunes générations. Pessimiste à propos de l’avenir de l’homme sur terre – en pleine période de la guerre froide et à l’heure de la menace de la bombe nucléaire de part et d’autre de l’Atlantique –, l’inventeur américain Buckminster Fuller propose des “vaisseaux terrestres” et autres dômes géodésiques destinés à protéger les populations dans un environnement hostile, parfois post-apocalyptique. Mais ce mouvement coexiste avec une grande confiance dans le progrès et dans la capacité de la technique à trouver une solution : les prototypes de maisons par Jean Prouvé, entièrement industrialisées et (dé)montables en quelques heures, deviennent rapidement cultes.
Les architectes s’inspirent naturellement de leur temps. Estimant que l’architecture et la technique sont indissociables, ils contribuent à la naissance du courant high-tech. Si le centre Pompidou en est un manifeste, on peut citer d’autres édifices. Le siège social de la Lloyd’s à Londres (1978-1986), construit par Richard Rogers, est un immense espace transparent au milieu duquel un escalator géant rappelle l’esthétique du centre Pompidou. Les réalisations de Norman Foster s’inscrivent pleinement dans ce courant. Peinte en jaune, la légère structure du centre de distribution de pièces détachées Renault à Swindon (1980-1982, Grande-Bretagne) se compose de fins poteaux régulièrement disposés et reliés les uns aux autres par des poutres métalliques et des haubans. Le siège de la banque HSBC à Hong Kong (1979-1986) rappelle aussi le grand espace dégagé de la Lloyd’s par Richard Rogers. L’espace intérieur de ce gratte-ciel est complètement dégagé et tout en transparence tandis que les bureaux, disposés sur les côtés, apparaissent comme suspendus.
Architectes et ingénieurs
L’architecture high-tech constitue aussi un moment important dans l’histoire de la collaboration entre architectes et ingénieurs. Conscients de leurs compétences respectives et complémentaires, les deux corps de métiers renouvellent le dialogue. Certains ingénieurs développent des bureaux d’études qui comptent parfois des dizaines de succursales à travers le monde et des milliers de salariés. C’est le cas de l’entreprise Ove Arup, fondée en 1946 par l’ingénieur du même nom et de laquelle Peter Rice était associé lors du chantier du centre Pompidou. Ce bureau d’études, qui emploie aujourd’hui 13 000 personnes dans une trentaine de pays, est un des leaders du marché depuis de nombreuses années. La firme fut choisie par les plus grands architectes pour mener leurs chantiers : l’opéra de Sydney (Jørn Utzon arch., 1973), le siège de HSBC (Hong Kong, Norman Foster arch., 1985), le siège de la CCTV (Pékin, Rem Koolhaas arch., 2004-2009), la tour de la CMA-CGM (Marseille, Zaha Hadid arch., 2006-2010), le Centre national de natation de Pékin (water cube, PTW Architects arch., 2003)…