La valeur morale de l’architecture de verre
Dans Glasarchitektur (1914), Paul Scheerbart pense qu’une réforme de la société doit passer par une révolution dans les modes d’habitation. Pour lui, chaque civilisation est "le produit de son architecture".
Espérons que l’architecture de verre amènera également une amélioration de l’homme sur le plan moral. Je vois là pour ma part un des principaux avantages de ces grandioses parois de verre, étincelantes, multicolores et mystiques. Et cet avantage ne me paraît pas seulement être une illusion, mais une authentique vérité : un homme qui voit tous les jours autour de lui des splendeurs de verre ne peut plus avoir des mains sacrilèges.
Nous vivons le plus souvent dans des espaces clos, qui constituent le milieu où s’enracine et se développe notre civilisation. Notre civilisation est dans une certaine mesure un produit de notre architecture ; si nous voulons élever son niveau, nous devons donc, bon gré mal gré, transformer notre architecture. Et cela ne sera possible que si nous faisons en sorte que les pièces dans lesquelles nous vivons n’aient plus ce caractère clos. Le seul moyen d’y parvenir est l’adoption d’une architecture de verre, qui laisse pénétrer la lumière du soleil et la clarté de la lune et des étoiles dans les lieux d’habitation non seulement par quelques fenêtres, mais également par le plus grand nombre possible de murs – des murs entièrement en verre, et en verres de couleur. Le nouveau milieu ainsi créé ne peut manquer de nous apporter une nouvelle civilisation. […] Tout ce qui a été dit dans cet ouvrage autorise assurément à parler d’une "civilisation du verre". Le nouveau milieu qu’elle créera transformera complètement l’homme.
Paul Scheerbart, L’Architecture de verre, trad. Pierre Galissaire, Strasbourg, Circé, 1995 [1914]