Le mobilier d’argent de Louis XIV
"Il y avait deux ou trois ans que je n’avais été à Versailles, J’y allai donc… figurez-vous quel est l’éclat de cent mille bougies dans cette grande suite d’appartements, je crus que tout y était embrasé. Les emmeublements d’or et d’argent avaient encore leur éclat particulier, avec les dorures et les marbres.…" (Bourdelot)
"Je reviens de Versailles. J’ai vu ces beaux appartements ; j’en suis charmée. Si j’avais lu cela dans quelque roman, je me ferais un château en Espagne d’en voir la vérité…c’est un enchantement… ce n’est point une illusion comme je le pensais. Tout est grand, tout est magnifique…" (Mme de Sévigné)
Nous sommes à l’apogée du règne de Louis XIV.
Durant huit années à partir de 1682, date de l’installation de la cour à Versailles, le Grand Appartement du Roi et la galerie des Glaces émerveillent par leur fabuleux mobilier d’argent massif.
Aujourd’hui le décor demeure, mais le mobilier a disparu, brutalement fondu en 1689 pour financer la guerre.
Vingt tonnes d’argent massif
Jouissant d’une richesse nouvelle grâce aux réformes énergiques de Colbert, le jeune Louis XIV veut éblouir. Plutôt que de conserver son trésor dans des pièces fortes, il confie l’argent venant du Pérou par l’Espagne aux plus habiles orfèvres de la manufacture des Gobelins, des galeries du Louvre et de la corporation parisienne. Le Brun, le premier Peintre, agissant comme grand décorateur, donne les dessins.
Pendant une vingtaine d’années, ce qu’on appelle la Grande argenterie de Louis XIV se constitue peu à peu : quelque deux cents pièces aussi extraordinaires par leur poids, par leur dimension que par la qualité du travail.
Tables de 350 kg, miroirs de 425 kg, balustrade pour isoler le lit royal de plus d’une tonne… Des buires (sortes d’aiguières) de la taille d’un homme, des cuvettes pour rafraîchir les bouteilles qui ressemblent à des baignoires, quantité de vases à orangers, de bassins (ou grands plats) avec des brancards, également en argent, pour les transporter… et des bancelles (ancêtres des canapés) pour la Grande galerie, sans compter les chenets et les luminaires…
Ce gigantisme, ce luxe pourraient paraître barbares sans la délicatesse de la ciselure qui orne toutes ces pièces de scènes mythologiques, d’emblèmes royaux ou de références au dieu solaire Apollon, et qui en fait des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie.
Ces merveilleuses soirées d’appartement
Au début du règne de Louis XIV, au fur et à mesure de leur fabrication, les grandes pièces d’argenterie voyagent, transportées dans des étuis de cuir, d’une maison royale à l’autre. Elles quittent le Garde-meuble pour venir rehausser de leur éclat les événements dynastiques, diplomatiques ou politiques. En 1682, à l’instar de la cour elle-même, elles se fixent à Versailles et sont distribuées dans les salons du Grand Appartement du Roi et dans la galerie. Les réceptions que le Roi y offre de 6 h. à 10 h. du soir, trois fois par semaine de la Toussaint à Pâques, pour divertir une cour désormais à demeure, prennent le nom de soirées d’appartement ou encore d’"appartements" tout court.
Le son des violons et des flûtes, les danses, les jeux, les buffets, les parures des habits, l’affabilité du roi et des princes : tout enchante. Mais ce qui frappe davantage encore cette société du 17e siècle, si éprise de clarté, ce sont les milliers de bougies se reflétant dans les miroirs et sur l’argent qui rendent "la nuit plus belle que le jour et l’hiver plus agréable que le printemps" (Madeleine de Scudéry). C’est dans le cadre de ces somptueuses réceptions que le mobilier d’argent de Louis XIV acquiert sa renommée.
Triomphe et désastre
Dès sa création, le mobilier d’argent participe au faste des cérémonies. Après l’installation de la cour à Versailles c’est, de l’avis de tous, la réception de l’ambassade du Siam en 1686 qui est la plus extraordinaire. Pour l’occasion, le trône placé à l’extrémité de la Galerie a été environné d’une profusion de pièces d’argenterie. Cette réception marque le triomphe du mobilier d’argent.
Pourtant, trois ans plus tard, un matin de décembre 1689, le roi annonce qu’il va envoyer tous ses beaux meubles d’argent à la fonte. Personne n’y croit ; il fera semblant, se dit-on. Cependant, avec une grande fermeté, presque du détachement, il donne ses ordres par lettre de cachet, enjoignant aux particuliers et aussi aux évêques d’agir de même. Il faut en effet soutenir la guerre contre l’Europe coalisée dans la ligue d’Augsbourg et révoltée par le ravage du Palatinat. C’est ainsi qu’en moins de six mois, les fours de la Monnaie avalent à un rythme effrayant toute la grande orfèvrerie française du 17e siècle. Le Roi, qui croyait tirer six millions de livres de son trésor d’argenterie qui lui en avait coûté dix, n’en obtient que deux. Le salon de Mercure était en principe chambre de parade mais durant l’hiver, le lit était ôté pour permettre l’installation des nombreuses tables à jeu. En revanche la balustrade qui, comme dans toute chambre officielle séparait l’alcôve du reste de la pièce, demeurait en place. D’une richesse particulièrement ostentatoire, elle pesait plus d’une tonne d’argent et, surmontée de candélabres, elle formait comme une rampe de lumière.
La légende du mobilier d’argent
Vingt ans après les fontes, le souvenir du mobilier d’argent de Louis XIV s’est mué en légende. On a oublié ce qu’il était vraiment mais on en a conservé l’impression écrasante de grandeur et de beauté. C’est ainsi que l’image emblématique de Louis XIV en monarque absolu, à savoir la grande peinture illustrant la réception du Doge de Gênes dans la galerie des Glaces peinte par Hallé, nous montre le roi dans toute sa splendeur, debout devant son trône d’argent et environné de grandes pièces d’argenterie qui sont vraies pour l’effet qu’elles produisent, mais qui sont loin de la réalité. Il faut dire que cette œuvre – un carton de tapisserie pour une nouvelle pièce de la célèbre tenture de l’Histoire du roi tissée aux Gobelins- a été commandée en 1710 alors que l’événement s’était déroulé en 1685. Louis XIV avait particulièrement voulu marquer cet important succès diplomatique : en effet, il avait obtenu que le Doge vienne en personne lui faire réparation du bombardement de la flotte française alors que, selon les lois de la République de Gênes, son chef ne devait pas sortir de ses états. Ce fut la première fois qu’un tel faste était déployé dans la galerie. Une si grande foule s’y tenait que le Doge mit une demi-heure pour atteindre le trône placé contre l’arcade du salon de la Paix, et que le roi dut descendre de l’estrade pour, de sa canne, lui frayer le passage… Cela également fut transformé par le peintre.
Extrait du dossier de presse de l’exposition « Quand Versailles était meublé d’argent », Château de Versailles, 20 novembre 2 007 - 9 mars 2 008