Histoire du métier de serrurier métallier
Jusqu’au 18e siècle, le terme de "serrurier" recouvre tous les métiers du métal appliqués à la construction. Ainsi, l’activité du serrurier romain ne se limite pas à la fabrication de clés, de serrures et de coffres puisqu’il était aussi chargé de fabriquer les grilles des fenêtres ou les pièces métalliques destinées au renfort et à la décoration des édifices les plus prestigieux. Étriers, équerres, agrafes, goujons et crampons – de fer ou de bronze – fixent en effet les pierres d’assise et consolident la structure du bâtiment : en collaboration avec le forgeron, le serrurier accomplit alors les fonctions d’un constructeur ou d’un charpentier métallique.
Le "fèvres" du Moyen Âge
Pendant le Moyen Âge, comme pour les autres métiers, celui de serrurier se structure progressivement. La grande famille des "fèvres" ou "ferrons" (travailleurs du fer) était divisée en trois grandes catégories : les maréchaux, les couteliers et les serruriers. Au 13e siècle, la corporation des maréchaux-ferrants est créée, pour se maintenir jusqu’au 18e siècle, alors que celle, plus tardive, des serruriers date du début du 15e siècle. Les règlements qui dictent les horaires et les jours de travail sont identiques pour tous les artisans et ouvriers. Même chose pour les conditions d’apprentissage : le maître recueillait alors pour plusieurs années un ou deux apprentis qu’il considérait comme des membres de sa famille et à qui il livrait tous ses secrets de fabrication.
L’ensemble de ces règlements, bien connus grâce au Livre des métiers que le prévôt de Paris Étienne Boileau a rédigé en 1268, est contrôlé par des jurés qui visitent régulièrement les “ateliers-boutiques”. En cas de manquement aux lois, les serruriers se voient confisquer (voire détruire) leurs objets et s’acquittent d’une amende. Les serruriers qui fabriquent des fausses clés ou des objets défendus peuvent subir des peines corporelles. Des punitions sévères sont appliquées en cas de délit grave : si un serrurier met ses compétences au service du vol ou d’une entreprise criminelle, il peut même être condamné à mort. Le corps, laissé sur la potence en guise d’exemple pour la population, est accompagné de l’inscription "crocheteur de porte"… À Paris, à la fin du 13e siècle, on compte 85 ferrons ou fèvres, 34 maréchaux, 27 maîtres serruriers parisiens. Le grand patron et justicier des ouvriers est le Maréchal du roi, à qui il faut verser un impôt annuel le jour de la Pentecôte : c’est ce que l’on appelle le “fers le roy”. À partir de 1382, la condition pour devenir maître serrurier est de réaliser un chef-d’œuvre composé d’une serrure et d’une clé avec “ornements et figures”.
Une solidarité se crée entre les gens de métiers : les serruriers mettent alors en commun une caisse mutuelle pour secourir les familles des confrères en cas de maladie, de vieillesse ou de décès. Le Saint Patron des serruriers est, depuis le Moyen Âge, Éloi de Noyon. Cet orfèvre et monnayeur, réputé absolument incorruptible, vécut au 7e siècle et devint ministre des Finances pendant le règne de Dagobert Ier. On retrouve Saint-Éloi dans la célèbre comptine : “Le bon roi Dagobert / A mis sa culotte à l’envers ; Le grand saint Éloi / Lui dit : Ô mon roi ! / Votre Majesté / Est mal culottée. / C’est vrai, lui dit le roi / Je vais la remettre à l’endroit.”
Quelques chefs-d’œuvre en métal du Moyen Âge
Les plus beaux ouvrages métalliques qui nous sont parvenus de la période médiévale ont été exécutés pour les églises et les cathédrales : grilles, ferrures et serrures au dessin tantôt rigoureux et répétitif – comme à Conques – ou beaucoup plus libre – à l’instar des ferrures de Saint-Saturnin. Le mobilier n’est pas en reste, avec l’exécution des serrures et des renforts des coffres.
Dans le domaine du gros œuvre, le chaînage en fer des pierres (emboîtement de barres de fer qui enserrent une partie du bâtiment et stoppent les poussées latérales) se pratique surtout pour des édifices prestigieux comme les cathédrales. C’est le cas par exemple à la Sainte-Chapelle de Paris ou à la cathédrale d’Amiens, dont la structure est ceinturée de fer et les charpentes renforcées par des pièces métalliques.
Les ferrures de Notre-Dame de Paris, fabriquées par le diable ?
Les ferrures de Notre-Dame de Paris comptent parmi les plus impressionnantes, à tel point qu’elles ont vu naître une légende à propos de leur réalisation.
Le bois des portes latérales de la cathédrale est presque entièrement recouvert d’un réseau de rinceaux et d’ornements de fer (pentures et panneaux). On attribue ces ferrures au serrurier Biscornet… ou plutôt au diable.
En effet, une histoire prétend que devant l’ampleur du travail, le jeune Biscornet aurait proposé au diable l’échange de son âme contre la réalisation des portes. Les soudures des ferrures de Biscornet sont si nombreuses et si bien exécutées qu’il est impossible de déterminer leur nombre. On pensa même un temps qu’il s’agissait de fer moulé et non de fer forgé. Les deux portes latérales sont exécutées alors que la porte centrale, face au sanctuaire, n’a pas reçu de ferrures. Les superstitieux expliquèrent alors cet inachèvement par le fait que le diable ne pouvait pas se placer face au lieu le plus sacré de l’église. C’est pourquoi cette entrée sera baptisée “portes des diables” car elle repousse, paraît-il, toute tentative de fixation de ferrures.
Ce n’est qu’au 19e siècle que le charme est rompu avec l’intervention du maître ferronnier Pierre Boulanger en 1867, dans le cadre de la restauration menée par Viollet-le-Duc. Pour retrouver la technique employée par Biscornet, Boulanger travaille pendant 12 ans. Il exécute 10 pièces pour lesquelles il utilise 500 kilos de fer. Fier de sa prouesse technique, le ferronnier a signé de son nom le dos des panneaux, pour prouver qu’il s’agit bien de l’œuvre d’un homme, et non du diable !
La Renaissance : naissance de la métallurgie
La Renaissance connaît son apogée de la serrurerie et du fer. De grands savants ont écrit des traités théoriques et techniques sur cet art. Le premier traité sur les techniques de recherche minière, de l’extraction et des traitements des différents métaux est dû au savant allemand Georgius Agricola avec De re metallica (1556).
Mathurin Jousse publie en 1627 La fidèle ouverture de l’art du serrurier, ouvrage dans lequel de nombreuses gravures illustrent l’art de la ciselure, du repoussage au marteau ou du damasquinage. Dans son livre, Jousse livre aussi ses recettes pour fabriquer le meilleur métal possible et présente les outils indispensables au serrurier : machines à tailler les limes, châssis… Il propose enfin des prothèses destinées aux mutilés : chaise roulante, jambes et bras de fer. Cet ouvrage est pionnier dans son genre car la transmission du savoir-faire de la serrurerie ne se faisait jusqu’alors qu’à l’oral, de maître à apprenti. Mathurin Jousse ne s’est pas contenté d’écrire ; il a aussi réalisé de superbes grilles pour le château de Maisons qui furent transférées dans la galerie d’Apollon au palais du Louvre en 1797.
Les Lumières et le triomphe de la ferronnerie
Le style rococo en architecture apparaît en Europe au 18e siècle. En France, on trouve peu de bâtiments rococo. On parle surtout de style “rocaille” qui s’applique au mobilier et à la décoration en architecture. En réaction au classicisme du règne de Louis XIV, les lignes deviennent courbes. On voit apparaître des spirales, des enroulements, des motifs de coquillages… qui correspondent à l’esprit d’une société où les nobles privilégient les fêtes et les plaisirs. Le ferronnier utilise alors la technique de l’étampe, moule d’acier sur lequel est battu le fer chauffé. Les formes que l’on veut établir en relief sont en creux, et celles que l’on désire voir venir creusées sont en relief.
À l’étranger, le rococo en architecture s’épanouit surtout en Allemagne et en Italie du Sud, avec des églises et des palais à la décoration très exubérante, où le stuc blanc occupe une place majeure. Le style rococo laisse peu à peu la place au style néoclassique. Avec la Révolution française en 1789, il disparaît totalement.
L’un des exemples les plus célèbres de style rocaille est la place Stanislas à Nancy, avec les grilles en fer forgé de Jean Lamour. En collaboration avec l’architecte Emmanuel Héré, Lamour réalise six grilles pour la place Stanislas de Nancy, considérées comme des chefs-d’œuvre de l’art rococo. Jean Lamour fait ici preuve d’une maîtrise technique exceptionnelle : le fer battu puis doré à la feuille d’or prend les formes les plus audacieuses. Le roi Stanislas, commanditaire des grilles, en suivit d’ailleurs l’élaboration lors de ses visites régulières aux ateliers. À la fin de sa vie, Jean Lamour publia un ouvrage qui reprend ses plus belles ferronneries. Il y écrit : “La serrurerie embellit l’utile. Elle a les parties pleines d’agrément, de délicatesse et de majesté. Elle est susceptible de toutes les formes. Elle a, quand elle veut, l’énergie de la peinture et de la sculpture, la hardiesse de l’architecture et toujours la solidité. Tout ce qui sort de ses mains devient monument ; voyez-la dans nos palais, dans nos places publiques et dans nos temples […].”
Mais si la ferronnerie devient un art à part entière, celui qui le réalise reste encore le serrurier, le ferronnier restant celui qui "vend des objets en fer neufs". C’est au 19e siècle seulement que le métier de ferronnier prend le sens artistique que nous lui connaissons aujourd’hui.
"Des rois fèvres"
L’art de la serrurerie a attiré beaucoup de hauts personnages, fascinés sans doute par les infinies possibilités du métal mis à l’épreuve par le feu. Le roi Charles IX, réputé passionné et violent, passait des heures entières à frapper l’enclume pour forger des fers pour les chevaux ou même des armures entières. Cette occupation ne manqua pas d’inspirer les vers des poètes Ronsard, ou Brantôme : “Il se fit dresser une forge, et l’ay veu forger canons d’harquebuz, fers de chevaux et autres choses, aussi fortement que les plus robustes mareschaux et forgerons qui fussent aux forges. Il vouloit tout sçavoir et faire.”
Il en est de même pour Louis XIII, qui fut identifié au chef des forgerons lors d’une fête donnée en 1621 : “Je suis un forgeron nouveau, / Qui sans enclume et sans marteau / Forge un tonnerre à ma parole, / Et du seul regard de mes yeux, / Fais partir un esclair qui vole, / plus puissant que celuy des Cieux […].”
Plus tard, Louis XVI se prit aussi de passion pour l’art de la serrurerie. On lui attribue même un ouvrage théorique sur l’art du serrurier (signé sous le nom de Feutry). Le roi apprit beaucoup du maître François Gamain – mais lui doit aussi sa perte : le serrurier avait fabriqué pour les appartements de Louis XVI aux Tuileries un coffre-fort inviolable où toute la correspondance secrète était mise à l’abri. À la Révolution, François Gamain rompit son engagement de fidélité envers le roi et révéla l’existence de ce que l’on appela alors “l’Armoire de fer”. Les papiers alors découverts constituèrent de très lourdes charges lors de l’accusation et du procès de Louis XVI.