De la crypte de Saint-Denis à la nécropole royale

La mise en bière d’Anne de Bretagne dans la salle d’honneur, en présence de trois hérauts d’armes
La mise en bière d’Anne de Bretagne dans la salle d’honneur, en présence de trois hérauts d’armes |

© BnF

La crypte est le témoin de l’histoire la plus ancienne de l’église. Dès ses origines, la crypte revêt une importance de premier ordre pour les fidèles qui viennent en pèlerinage à Saint-Denis : la dépouille mortelle du martyr saint Denis est supposée se trouver à cet emplacement. En effet, saint Denis est réputé protéger les vivants et permettre aux défunts d’accéder au paradis. C’est pour cette raison que Dagobert Ier choisit de se faire inhumer dans cette crypte. Les décors sculptés de son tombeau – le premier à venir garnir ce qui deviendra la nécropole des rois de France dès 639 – illustrent cette croyance.

Un lieu de très haut prestige

La transformation de la crypte de Saint-Denis en une nécropole royale débute sous les Mérovingiens avec Dagobert Ier, et prend toute son ampleur sous la dynastie capétienne (987-1328). L’abbé Suger joue un rôle important dans ce choix : il met en avant l’histoire du monument depuis saint Denis et sainte Geneviève. Après lui, les moines de l’abbaye cultivent la légende et vont jusqu’à produire de faux documents – comme une fausse donation de Charlemagne – pour renforcer le rôle de l’abbaye dans l’histoire de France ! La donation stipule que les rois de France doivent s’acquitter d’un paiement en or à l’abbaye pour montrer qu’ils ont reçu le royaume de France en héritage des saints et de Dieu. Louis VI, perpétuant cette tradition qui place la basilique au cœur du pouvoir royal, reconnaît un droit de dépouille à Saint-Denis. Les regalia, ces objets précieux ayant appartenu à des rois, comme les couronnes, les sceptres et les mains de justice, sont ainsi offerts à la mort des rois et constituent une partie non négligeable du trésor de Saint-Denis. Lieu de très haut prestige, prisé pour les pouvoirs protecteurs des saints qui y sont inhumés, Saint-Denis devient un lieu de sépulture recherché par les aristocrates de la première moitié du Moyen Âge. Au 12e siècle, la pratique de l’inhumation à Saint-Denis continue mais elle est alors réservée aux rois de France. Lors d’une réorganisation de la nécropole ordonnée par saint Louis, les restes de 16 souverains sont trouvés et déplacés. Leurs dépouilles mortelles sont placées dans des cercueils en pierre, protégés par des gisants. Les gisants sont des sculptures funéraires, inspirées de la statuaire religieuse que l’on trouve à l’entrée des églises, et dont la fonction est de rappeler le défunt à la mémoire des vivants. Pour ce faire, des objets, animaux et plantes symboliques sont utilisés, et des scènes historiques impliquant le défunt sont parfois représentées sur les côtés du piédestal. Les 16 gisants de la commande saint Louis sont représentés de façon idéalisée : ils portent couronne et sceptre, ont les yeux ouverts et sont habillés à la mode du 13e siècle. Cette représentation a une double fonction : d’une part, les yeux ouverts et l’orientation à l’est des gisants évoquent la vie éternelle et l’attente de Jésus-Christ dans laquelle sont plongés les souverains ; d’autre part, l’harmonisation des vêtements des rois permet à saint Louis de renforcer le lien entre les rois mérovingiens et les nouveaux rois capétiens. À travers l’esthétique des gisants, saint Louis assoit le pouvoir de la dynastie capétienne, pouvoir qui lui vient de Dieu.

Le tombeau de Dagobert Ier et le culte de Saint-Denis

Le tombeau de Dagobert Ier
Le tombeau de Dagobert Ier |

© BnF

Les moines de l’abbaye de Saint-Denis ont longtemps considéré Dagobert Ier comme le fondateur de leur abbaye. Construit six siècles après sa mort, ce tombeau aux dimensions exceptionnelles illustre le rôle de bienfaiteur qu’il eut pour la communauté religieuse. Le gisant du roi, entouré par les statues dressées de sa femme Nanthilde et de leur fils Clovis II, regarde en direction de la sépulture primitive de saint Denis. Au-dessus et remplissant la voûte en ogive se trouvent trois registres sculptés, représentant le voyage de l’âme de Dagobert Ier au paradis, aussi appelé la vision de l’ermite Jean. Dans cette vision, l’âme de Dagobert est emmenée dans une barque remplie de diables qui le torturent avant de le jeter dans l’antre de Vulcain, en Sicile. Appelant à l’aide, Dagobert est sauvé par saint Denis, saint Martin et saint Maurice. Victorieux, les saints conduisent enfin l’âme du roi aux portes du paradis où elle est accueillie par une immense main venue la saisir. Les trois registres, autrefois polychromes, reprennent chacun des trois moments de cette vision.
Ce magnifique tombeau est autant un moyen pour les moines de rendre hommage à Dagobert Ier, que d’inciter les rois de France à venir reposer dans la basilique-cathédrale de Saint-Denis, sous la protection du saint éponyme.

La dernière nécropole des rois de France

Tombeau de Louis XII et Anne de Bretagne dans la basilique Saint-Denis
Tombeau de Louis XII et Anne de Bretagne dans la basilique Saint-Denis |

© Vinca Hyolles

Parmi les rois inhumés, on trouve Clovis Ier, Dagobert Ier pour les Mérovingiens, Charles Martel, Pépin le Bref, Louis III, pour les Carolingiens, Henri Ier, Isabelle d’Aragon, Philippe IV le Bel, pour les Capétiens, mais aussi Blanche de Navarre, le tombeau des ducs d’Orléans, Louis XII et Anne de Bretagne pour les Valois. Des rois illustres comme François Ier – qui possède également une urne funéraire à Saint-Denis – ou Louis XV et Louis XVI, sont aussi inhumés là. À partir du 13e siècle, le style de la statuaire des gisants évolue : de figures hiératiques et idéalisées, les gisants laissent peu à peu la place à des statues plus réalistes. Pour des questions de conservation des corps, on séparait les entrailles, le cœur et le corps. Les défunts illustres avaient alors le droit à trois statues : les gisants de cœur, d’entrailles et de corps, du nom de la partie du corps qui y était conservé. À Saint-Denis, seuls les gisants de corps sont conservés, car ce sont les plus nobles.
Plus que de simples statues allongées, les gisants sont de véritables documents biographiques codés : des chiens, placés au pied des femmes, symbolisent la fidélité, mais aussi le chien-guide accompagnant l’âme de la défunte dans la mort vers le paradis ; au pied des rois, souvent utilisés comme symbole de la royauté, des lions représentent la puissance et le courage.

La rotonde des Valois

La rotonde des Valois à Saint-Denis
La rotonde des Valois à Saint-Denis | © BnF

La transformation progressive de la basilique en une nécropole royale a contraint les maîtres d’œuvre à réaliser des extensions au corps du bâtiment. Le mausolée, aussi appelé rotonde des Valois à cause de sa forme, a été construit sur commande de la reine mère Catherine de Médicis (1559-1589) afin d’accueillir les tombes des Valois. Il s’inspire de la forme ronde des temples circulaires de l’Italie antique. Édifice inachevé, ne comptant que deux étages alors que le projet initial en comptait trois, il est détruit en 1719 car il menaçait de s’effondrer. Seul le tombeau monumental à la gloire d’Henri II et de Catherine de Médicis a été conservé et remonté dans le bras nord du transept de l’abbatiale.

La rotonde des Bourbons, un projet abandonné

Chaque dynastie a laissé, ou cherché à laisser, sa marque sur la nécropole de Saint-Denis. Il s’agit autant d’un problème de place pour les derniers rois en date, qu’une question de prestige. En 1665, au début de sa gloire, le jeune Louis XIV nourrit le projet d’offrir aux rois et reines de la dynastie des Bourbons un tombeau digne de leur prestige. Colbert et l’architecte François Mansart (1598-1666) sont chargés du projet. Mais la mort de l’architecte, au bout d’un an seulement, met fin au projet. Bien que la rotonde des Bourbons n’ait jamais été construite, ses plans et esquisses préparatoires inspireront Jules Hardouin-Mansart, le fils de François Mansart, lors de la réalisation du dôme des Invalides.

La rotonde des Bourbons à Saint-Denis
La rotonde des Bourbons à Saint-Denis |

© BnF