Un menuisier égyptien
Ce récit écrit par un égyptologue met en scène un jeune garçon égyptien qui fait son apprentissage. Les techniques employées dans l'Égypte ancienne sont fidèlement décrites.
"Pois Chiche débuta dans la sciure et les copeaux, sans voir ni sceptres ni chefs-d'œuvre. Nadjar semblait ignorer l'apprenti.
Le surveillant fut sans pitié. Les doigts du novice payèrent la rançon des maladresses.
Lorsqu'il sut équarrir les troncs avec la hache, dégrossir les planches avec la scie et l'herminette, il apprit à manœuvrer l'archet sur son foret afin de percer des trous pour les chevilles ; il apprit à creuser les mortaises au ciseau. Mais il y avait peu de joie dans ce labeur, car Pois-Chiche regrettait son ami.
Un soir, il était las d'essayer sans succès d'ajuster un tenon à la mortaise ; il voulut réussir, et malgré le départ des autres, il ne quitta point son travail. À petits coups précis, il entreprit de parfaire l'ajustage ; et, dans l'atelier vide, il rythma son geste avec son chant.
[…]
Une main se posa sur l'épaule du chanteur :
– Petit, te croirais-tu abandonné ?
La surprise fit porter le ciseau à faux ; un morceau de tenon éclata. L'enfant, honteux d'avoir livré son cœur, se cabra :
– Ai-je l'air d'une femmelette ? Et voici : mon tenon ne s'ajustera plus !
Nadjar lui enleva le ciseau des mains ; il le conduisit à la réserve des bois – à peine équarris – de caroubier, d'ébène et de genévrier. Il lui dit :
– Ouvrier, sois attentif à mes questions ; si tu es mûr pour une autre culture, tu dois pouvoir résoudre ce problème. Tu as percé des trous dans un bois tendre : quel bois devras-tu choisir pour les chevilles, afin que l'ajustage soit durable et solide ?
Pois Chiche touchait et regardait les troncs, comme s'il en attendait la réponse. Il dit enfin :
– N'est-il pas vrai que si la cheville en bois dur entre dans un bosi tendre, elle peut le fatiguer et le faire éclater ?
– C'est juste ; mais lorsqu'elle joue librement, comme dans les charnières, donc étant sujette à usure, que feras-tu ?
– Alors je crois qu'il faut choisir le bois dur.
Nadjar posa sa main sur la tête anxieuse :
– Ne sois pas inquiet, mon fils, tu as bien répondu ; la violence n'est pas un moyen de concorde : c'est pourquoi nous ajustons le bois avec du bois, jamais avec du métal. On peut coudre des planches avec un fil de cuivre quand on veut laisser quelque souplesse à l'assemblage ; mais on ne doit cheviller du bois qu'avec du bois. Il faut toujours chercher dans la même nature le moyen de faire ou défaire une chose."
Her-Bak, "Pois chiche", Isha Schwaller de Lubicz, Champs Flammarion, 1995