L’escalier, indispensable et symbolique
Si les constructeurs attachent tant d’importance à la forme de l’escalier, c’est qu’elle est particulièrement symbolique. Pendant l’Antiquité, les pyramides à degrés (ziggurats de Mésopotamie, pyramide de Djoser à Saqqarah, pyramide maya de Teotihuacan au Mexique…) sont vues comme une voie d’accès vers le ciel, et donc un lien avec les dieux.
Au Moyen Âge, les escaliers intérieurs sont souvent strictement utilitaires. Dans les châteaux et les forteresses, ils peuvent être enfermés dans l’épaisseur des murs. Ils sont droits ou à vis (enroulés sur eux-mêmes).
À partir du 13e siècle, l’escalier, même intérieur, devient l’occasion pour le constructeur de démontrer son savoir-faire. Au Louvre, Raymond du Temple, “maçon ordinaire du roi”, construit vers 1360 un immense escalier à vis qui émerveille par ses dimensions. Les marches sont très larges (2, 4 m) et l’escalier est logé dans une construction en saillie sur la façade du Louvre. On peut encore voir aujourd’hui les soubassements de la “grande vis” dans les sous-sols du musée du Louvre.
Un symbole de pouvoir
À la Renaissance, les escaliers intérieurs commencent à être considérés par les bâtisseurs comme des éléments importants dans la conception d’un bâtiment. Les innovations se multiplient. Les escaliers à vis peuvent être à "double révolution", comme celui dit "de Bramante". Ils comportent deux volées de marche et deux entrées où les visiteurs montants ne croisent pas les visiteurs descendants. Parfois la partie intérieure de l’escalier, enfermée dans une cage, est réservée au service, tandis que la partie extérieure ouverte constitue l’escalier d’honneur. Le célèbre escalier à double révolution du château de Chambord constitue l’un des aboutissements de cette technique.
Particulièrement grandioses, les escaliers extérieurs attirent les regards vers l’édifice auquel ils donnent accès. Ainsi, à Rome, on accède à la place du Capitole, centre du pouvoir depuis l’Antiquité, en levant les yeux et en empruntant un large escalier montant qui accentue la majesté de la place dessinée par Michel-Ange. Au château de Fontainebleau, le spectaculaire escalier en fer à cheval de la cour d’honneur invite les visiteurs à pénétrer dans l’édifice par un accès monumental, symbole du pouvoir royal.
L’escalier comme décor
Le caractère spectaculaire de l’escalier trouve tout naturellement son aboutissement dans un lieu de spectacle comme l’opéra Garnier construit au 19e siècle à Paris. Si tout le bâtiment est remarquable, son grand escalier est particulièrement impressionnant. Conçu comme un décor de théâtre, il n’est pas un simple lieu de passage entre l’entrée de l’opéra et la salle de spectacle. C’est un espace où l’on s’attarde, où il faut être vu depuis les galeries qui le surplombent, et dont la lumière a été particulièrement soignée, comme sur scène. Composé d’une volée de marches puis d’un palier, il se sépare ensuite en deux volées de marches aux formes courbes. Plus d’une vingtaine de variétés de marbres de toutes les couleurs ont été utilisées pour sa construction. À la même époque, l’escalier monumental s’impose aussi dans ces nouvelles "cathédrales du commerce" que sont les grands magasins. La généralisation des nouveaux matériaux issus de la Révolution industrielle – le fer et le verre – permet de construire une structure à la fois légère et imposante.
Au Bon Marché, construit entre 1870 et 1887, le grand escalier central, emblème de l’établissement, relie tous les étages et favorise la circulation des clientes. Mais, exactement comme à l’opéra, c’est un lieu stratégique où l’on peut voir et être vu, et qui symbolise la puissance du nouveau commerce. Le 20e siècle voit l’avènement des escalators et des ascenseurs. Pour autant, le grand escalier reste un élément appréciable pour mettre en valeur un bâtiment, et un tour de force pour les constructeurs.