Les enfants des campagnes au Moyen Âge
Au Moyen Âge, l’immense majorité des enfants vit à la campagne. Jusqu’à la fin de cette époque, en effet, près de 90 % sont fils et filles de paysans. On sait peu de chose d’eux. Ils n’apparaissent guère que dans les récits de miracles, et les documents judiciaires évoquant les accidents dont ils sont les victimes. Car leur environnement présente de nombreux risques.
Un environnement plein de dangers
La vie rurale offre aux enfants les plaisirs des jeux dans la nature, l’agrément d’un air et d’une eau moins pollués qu’en ville, mais elle ne constitue pas pour autant un domaine protégé. La maison rurale est dangereuse, avec son foyer ouvert, sans cheminée, dans lequel trébuchent les enfants, quand ils ne font pas tomber en courant les pots à cuire pleins d’eau bouillante. Par la porte toujours ouverte vont et viennent les animaux domestiques, au rang desquels les porcs, souvent responsables de graves morsures. Les enfants risquent aussi la noyade dans le bief des moulins…
Les accidents sont particulièrement nombreux le matin, lorsque la mère s’absente pour la corvée d’eau et pour aller nourrir les animaux. Les grands travaux des champs, entre mai et août, sont propices aux catastrophes, quand les deux parents sont au travail hors de la ferme et qu’ils ne peuvent plus surveiller leur progéniture du coin de l’œil. D’une façon générale, les enfants sont laissés libres de se promener tout seuls dès l’âge de 3 à 4 ans. Certains se noient dans la mare ou dans le puits, d’autres se perdent en forêt. Contrairement aux enfants des villes, ceux des campagnes n’ont pas de berceau, ou rarement, si bien qu’ils tombent du haut lit parental ou du hamac accroché au-dessus, ou se retrouvent à demi étouffés entre la couette (le matelas) et la courtepointe quand ils dorment avec leurs parents. Sur le sol de terre battue, les enfants trouvent 1 000 petits objets avec lesquels ils se blessent : épingles, anneaux, fusaïoles tombées des fuseaux de filage de leur mère ; ils mangent de la terre, des charbons de bois ramassés sur le sol. Les aînés ont le devoir d’empêcher les bébés de commettre de telles bêtises, mais, dans la relative obscurité de maisons sombres et enfumées, quasi dépourvues de fenêtres pour préserver la température intérieure, c’est là chose difficile. Eux-mêmes ne sont pas à l’abri des accidents domestiques : les chutes de l’échelle dans la grange sont monnaie courante. C’est pourquoi les parents essaient d’emmener leurs enfants dans leurs activités laborieuses.
Les enfants au travail
Quelques textes agronomiques et des dizaines d’images peintes dans les manuscrits détaillent les charges qui incombent aux enfants dans le monde paysan. Aux plus petits sont confiées les tâches ingrates, mais sans danger ni fatigue excessive : celles du petit jardinage, de la chasse aux insectes (hannetons), aux batraciens des jardins et aux oiseaux, qui viennent picorer les semences. Postés dans des cahutes au milieu des champs, ils sont chargés d’actionner des clochettes accrochées à des fils, sillonnant le terrain dès que les oiseaux se posent. À l’aide d’une fronde, ils suivent le semeur et tuent les corbeaux qui viennent lui chiper le grain à peine semé. Ils sont également chargés de grimper aux arbres pour cueillir les petits fruits, amandes, cerises ou olives. Ils suivent leur père dans ses travaux saisonniers (tonte des moutons, vendange), à la fois pour l’aider et pour apprendre les gestes du métier, et vont avec lui au marché où ils s’initient aux techniques de la vente des produits.
Dès l’âge de 8 à 10 ans, les garçons accompagnent leur père aux champs au moment des labours ; ils l’aident à guider le bœuf pour l’obliger à aller droit. Ce travail ne va pas sans fatigue ni sans dangers : la glaise est lourde et collante sous les pieds, les enfants glissent, le père ne peut arrêter le bœuf et le soc de la charrue laboure leurs jambes, les handicapant à jamais. La garde des troupeaux, qui débute au même âge, est tout aussi génératrice d’accidents. En plaine, il se trouve toujours un passant secourable, mais, isolés dans la montagne, les petits bergers blessés ne survivent pas à une chute dans un ravin. Les filles sont davantage à l’abri : leurs tâches domestiques et agricoles sont circonscrites autour de la maison, dans le poulailler, le jardin potager. Elles font la vaisselle, rangent la maison, nourrissent les volailles, ramassent les salades et les fruits, et s’occupent des bébés.
À partir de l’âge de raison, la petite fille est initiée au filage. D’autres fillettes se spécialisent dans des travaux textiles variés. Elles font aussi le ménage, aident aux champs et nourrissent les animaux.
Santé et mortalité
La mortalité infantile est donc importante. Les enfants occupent entre 30 à 40 % des places dans les cimetières du Moyen Âge, où ils étaient enterrés avec soin. Les archéologues tirent de nombreuses informations de leurs ossements : d’abord, l’âge du sevrage, tardif (entre 18 mois et 3 ans et demi pour le haut Moyen Âge, par exemple), ce qui les protège du rachitisme ; ensuite, les âges au décès, qui révèlent les étapes dangereuses de leur vie d’enfant : 4 ans, l’âge d’une autonomie précoce, 10 ans, l’âge de la mise au travail pour les garçons. Dans l’iconographie médiévale, les représentations d’accidents, miracles ou obsèques impliquant des enfants ne manquent pas… Mais les archéologues découvrent également que la santé des enfants est plutôt bonne, grâce à une alimentation basée, dans les premières années, sur le lait et les céréales. Aux 6e-8e siècles, malgré quelques épisodes sombres (peste de 586, disette de 779), les conditions de la vie quotidienne, fondée sur une économie agro-sylvo-pastorale, sont plutôt favorables, car l’alimentation est diversifiée. Selon Jean-Louis Flandrin, "durant le haut Moyen Âge, les paysans européens ont eu une nourriture plus équilibrée qu’à d’autres époques, passées ou futures", et il ne semble pas que le haut Moyen Âge ait connu les maladies de carence ou de malnutrition. Un premier accroissement de la population se lit d’ailleurs au début du 7e siècle.
À partir de 980, toutes les sources historiques montrent un essor de l’agriculture. Le climat se radoucit, favorisant le développement des cultures, tandis que diminuent les invasions et les conflits. Échappant au cercle vicieux des disettes et des famines, la population augmente de nouveau, tandis que les défrichements offrent des terres nouvelles. Les rendements s’accroissent grâce à la maîtrise de nouvelles techniques : travail du fer, améliorant l’outillage et permettant l’invention de la charrue, maîtrise de l’énergie hydraulique, donnant naissance au moulin à eau. C’est donc dans une relative prospérité que naissent les enfants jusqu’au 14e siècle.
C’est alors que la croissance s’essouffle. À cette date, la France compte 16, 5 millions d’habitants dans son périmètre de l’époque, 21 selon ses frontières actuelles. Les derniers défrichements s’avèrent peu productifs. La production stagne, disettes et famines refont leur apparition, et c’est sur une population affaiblie que s’abat la Grande Peste de 1348. S’ajoute à cette catastrophe la guerre de Cent Ans (1337-1453). Peu de familles, en cette fin du Moyen Âge, s’en tirent indemnes.