L'arrivée de Cortés dans la capitale aztèque
Bernal Díaz del Castillo accompagne le conquistador Hernán Cortés durant la conquête du Mexique. Il en tire des mémoires qui nous permettent de revivre les différents épisodes de cette épopée. Ici, Cortés et ses compagnons découvrent la capitale des Aztèques, Tenochtitlan.
Nous nous dirigeâmes donc vers le temple. Nous étions déjà arrivés à ses grands préaux, lorsque, étant encore sur la Place nous vîmes d’autres marchands qui, nous dit-on, vendaient de l’or comme on le sort des mines. Il était enfermé dans de petits tubes faits avec des plumes d’oies du pays, et assez transparents pour voir l’or à travers les parois. C’était d’après la longueur et l’épaisseur des tubes qu’on faisait les marchés : cela valait tant d’étoffes, tant de milliers de grains de cacao, tel esclave ou n’importe quel autre objet servant à l’échange. Ce fut là, du reste, que nous abandonnâmes la place sans l’examiner davantage. Nous arrivâmes aux vastes clôtures et aux préaux du grand temple, lequel était précédé d’une étendue considérable de cours qui me parurent dépasser les dimensions de la place de Salamanca. Le tout était clos de murs à chaux et à sable. Cette cour était pavée de grandes pierres blanches et très lisses ; partout où ces dalles manquaient, Ie sol, fait en maçonnerie, avait une surface très polie ; tout était du reste propre à ce point qu’on n’y voyait ni pailles ni poussière nulle part. Lorsqu’on nous vit approcher du temple, et avant que nous en eussions franchi aucun degré, Montezuma, qui était au sommet, occupé aux sacrifices, envoya six papes et deux personnages de distinction pour accompagner notre général. Au moment où celui-ci allait commencer à monter les degrés, qui s’élèvent au nombre de cent quatorze, ces personnages allèrent lui prendre le bras pour l’aider à monter, croyant qu’il en éprouverait de la fatigue, et voulant faire pour lui ce qu’ils faisaient pour leur seigneurMontezuma ; mais Cortès ne leur permit point.
Arrivés au haut du temple, nous vîmes une petite plate-forme dont le milieu était occupé par un échafaudage sur lequel s’élevaient de grandes pierres ; c’était sur elles que l’on étendait les pauvres indiens qui devaient être sacrifiés. Là se voyait une énorme masse représentant une sorte de dragon et d’autres méchantes figures. Autour de cet ensemble, beaucoup de sang avait été répandu ce jour-là même. Aussitôt que nous arrivâmes, Montezuma sortit d’un oratoire où se trouvaient ses maudites idoles, situées au sommet du grand temple ; deux papes l’accompagnaient. Après les démonstrations respectueuses faites à Cortès et à nous, il lui dit : "Vous êtes sans doute fatigué, seigneur Malinche, d’être monté jusqu’au haut de cet édifice." À quoi Cortés répondit, au moyen de nos interprètes, que ni lui ni aucun de nous ne se fatiguait jamais, quelle qu’en fût la raison. Le prince le prit aussitôt par la main, le priant de regarder sa grande capitale et toutes les autres villes que l’on voyait situées dans les eaux du lac, ainsi que les nombreux villages bâtis tout autour sur la terre ferme. Il ajoutait que si nous n’avions pas vu suffisamment sa grande place, de là nous la pourrions examiner beaucoup mieux. Nous admirâmes en effet toutes ces choses ; car cet énorme et maudit temple était d’une hauteur qui dominait au loin les alentours.
De là, nous vîmes les trois chaussées qui conduisent à Mexico : celle d’Iztapalapa, par où nous étions arrivés quatre jours auparavant ; celle de Tacuba, par laquelle, dans huit mois, nous devions sortir
en fuyards, après notre grande déroute, lorsque Coadlavaca, le nouveau monarque, nous chasserait de la ville, comme nous le verrons plus loin. On apercevait enfin, d’un autre côté, la chaussée de Tepeaquilla. Nous voyions encore l’eau douce qui venait de Chapultepeque pour l’approvisionnement de la ville. Les trois chaussées nous montraient les ponts établis de distance en distance, sous lesquels l’eau de la lagune entrait et sortait de toutes parts. Sur le lac on voyait circuler une multitude de canots apportant, les uns des provisions de bouche, les autres des marchandises. Nous remarquions que le service des maisons situées dans l’eau et la circulation de l’une ne pouvait se faire qu’au moyen de canots et de ponts-levis en bois.
Toutes ces villes étaient remarquables par leur grand nombre d’oratoires et de temples, simulant des tours et des forteresses et reflétant leur admirable blancheur. Toutes les maisons étaient bâties en terrasse et les chaussées elles-mêmes offraient à la vue des tours et des oratoires qui paraissaient construits pour la défense. Après avoir admiré tout ce que nos regards embrassaient, nous baissâmes de nouveau les yeux sur la grande place et sur la multitude de gens qui s’y trouvait, les uns pour vendre, et les autres pour acheter ; leurs voix formaient comme une rumeur et un bourdonnement qu’on aurait cru venir de plus d’une lieue de distance. Nous comptions parmi nous des soldats qui avaient parcouru différentes parties du monde : Constantinople, l’Italie, Rome ; ils disaient qu’ils n’avaient vu nulle part une place si bien alignée, si vaste, ordonnée avec tant d’art et couverte de tant de monde.
Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne, Bernal Díaz del Castillo, (1492 ?-1581 ?)