La Maison du Diable
Je me suis empressé d’aller porter mes hommages à la première lauréate que les journaux signalaient à Auteuil, dans la rue du bon La Fontaine ; et ce petit voyage m’a enchanté. Elle est charmante la première lauréate. Elle est surtout d’une originalité intense. D’abord, elle n’a pas de petits carreaux, ce qui est bien subversif… Puis, pour du style nouveau, voilà certes du style nouveau. Il paraît que cette maison était célèbre dans le pays. Des Anglais passaient le détroit pour venir la voir. On l’appelle à Auteuil la Maison des Diables. Ce nom est assez justifié ! Il y a, du rez-de-chaussée à la toiture, une folle ascension de figures grimaçantes, de groupes fantastiques, où l’artiste voulut peut-être représenter des chimères, mais où le populaire voit surtout des démons, et qui font se signer à vingt pas toutes les vieilles dames de l’arrondissement. Il y a des diables aux portes, des diables aux fenêtres, des diables aux soupiraux des caves, des diables aux balcons et aux vitraux, et l’on m’assure qu’à l’intérieur, les rampes d’escalier, les boutons de fourneaux, les clés des placards, tout, depuis le salon jusqu’à l’office, est de la même diablerie.
Si Dieu ne protège plus la France, le diable du moins semble protéger Auteuil. Parisiens, dormez en paix !
Le Gaulois, Jean Rameau, 3 avril 1 899