La beauté du béton brut
“L’Unité de Marseille fut construite au long de cinq années difficiles, dangereuses, dans une coordination constamment bouleversée par des circonstances hétérogènes ; par des entreprises non harmonisées entre elles ; avec des ouvriers indifférents les uns aux autres, même dans un seul corps de métier. Par exemple, les cimentiers de béton armé et les charpentiers des coffrages exécutèrent leur travail en s’imaginant que les malfaçons seraient, selon l’usage, rattrapées à la finition à la taloche, ou au plâtre, ou à la peinture. Des malfaçons évidentes éclataient en tous lieux du chantier ! Heureusement, nous n’avions pas d’argent ! Longtemps je me suis demandé comment faire face à ces malfaçons, comment les cacher, les rectifier […]. Il était certain qu’en enduisant le béton de mortier, de ciment taloché ou de plâtre, les malfaçons n’auraient point été corrigées. Et la peau, l’épiderme de l’édifice eut été terni. Sur le béton brut on voit le moindre incident du coffrage : les joints des planches, les fibres du bois, les nœuds du bois, etc. Eh bien, ces choses-là sont magnifiques à regarder, elles sont intéressantes à observer, elles apportent une richesse à ceux qui ont un peu d’invention. […]. Alors il m’est venu des idées et devant la plus féroce des malfaçons de l’Unité de Marseille : la maison courante de la rampe qui monte sur le toit, la salle de repos des enfants, devant cette malfaçon atroce, j’ai dit : j’en ferai une beauté par contraste, je trouverai la contrepartie, j’établirai un dialogue entre la rudesse et la finesse, entre le terne et l’intense, entre la précision et l’accident…“
Adresse de Le Corbusier à M. Claudius Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, à la remise de l’Unité d’habitation de Marseille, le 14 octobre 1952, dans Œuvre complète, 1946-1952, p. 190.