Toujours plus haut !
La ziggurat de Babylone donne naissance au mythe de la tour de Babel, symbole de la volonté des hommes d’égaler les dieux… ou de se dépasser eux-mêmes ?
La ziggurat de Babylone, ou Etemenanki, a sans doute été construite au début du 2e millénaire par l’un des rois les plus puissants de la Mésopotamie, le roi Hammourabi, sixième roi de Babylone (1792-1750 avant J.-C.). Elle a ensuite été restaurée et remaniée par Nabuchodonosor II (604-562 avant J.-C.) qui l’aurait fait recouvrir de briques vernissées colorées. Des textes gravés sur pierre témoignent de ces travaux.
Un historien grec, Hérodote, la décrit en ces termes (il parle de huit niveaux alors que la plupart des images en montrent sept) : « Au milieu se dresse une tour massive, longue et large d’un stade, surmontée d’une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu’à huit tours. Une rampe extérieure monte en spirale jusqu’à la dernière tour. »
Située au centre de Babylone, sur la rive de l’Euphrate, la tour appartenait à un vaste domaine sacré et supportait le « temple haut ». Dans la même enceinte se trouvait aussi le “temple bas”. Les palais et les jardins du roi et de sa famille s’étendaient plus au nord sur la même rive.
Condamnation de la démesure ?
Dans la Genèse, on assiste avec l’épisode de la tour de Babel à la dispersion des hommes sur terre, et à l’obligation qui leur est faite de parler des langues différentes, au risque de ne plus se comprendre. Dieu condamne les hommes pour leur orgueil et les oblige à abandonner une entreprise dans laquelle, tous ensemble, ils espéraient se dépasser (et surtout le dépasser ! ).
La tradition chrétienne interprète l’épisode comme la condamnation de Babylone, ville de démesure et de luxure, persécutrice du peuple hébreu puisque Nabuchodonosor II met Jérusalem à sac au 5e siècle avant J.-C., et ordonne l’exil des Hébreux. Par extension, elle y voit aussi la condamnation future de Rome, cité où furent persécutés les premiers chrétiens. L’iconographie du Moyen Âge compte autant de représentations de la construction de la tour de Babel que de destruction par le feu de Babylone.
Ou dépassement ?
Mais construire toujours plus haut est une entreprise universelle qui peut être diversement interprétée. Le projet peut être signe d’orgueil et de démesure humaine. Il peut aussi témoigner de la ferveur des hommes. Les flèches des cathédrales gothiques s’élancent vers le ciel, non pas pour célébrer les hommes mais pour se tourner vers Dieu.
À la Renaissance, la dispersion obligée des hommes après l’abandon du chantier de la tour de Babel prend un autre sens. Dans un monde bouleversé par les grandes découvertes, les frontières sont repoussées, ouvrant aux hommes de nouveaux espaces à découvrir. L’humanisme affirme alors sa confiance dans les réalisations de l’homme. Ce dernier ne se préoccupe plus d’égaler Dieu, mais plutôt de développer son savoir et ses compétences dans de nouveaux domaines.
Dans ce contexte, le chantier de la tour devient aussi un hymne aux capacités de l’homme à fabriquer et innover. D’ailleurs, le tableau de Pieter Brueghel l’Ancien ne rend-il pas aussi hommage au savoir-faire des constructeurs ?
Quant à la condamnation au multilinguisme, en est-elle vraiment une, finalement ? La variété des langues humaines est évidemment une richesse Même si la nostalgie d’une langue universelle a donné naissance en 1887 à l’espéranto, langue internationale construite de toutes pièces, et dont le symbole est… une tour de Babel !