Les trois ordres architecturaux antiques et leur postérité

Vue dans la perfection de la Grèce
Karl Friedrich Schinkel (1781-1841) est architecte, peintre, décorateur de scène, créateur de mobilier et de jardins. Il s’inspire des styles de l’Antiquité et du Moyen Âge gothique, et les réinterprète.
Son importance dans la Prusse de la première moitié du 19e siècle est considérable.
Ce tableau offre une vision idéalisée d’un chantier de construction dans la Grèce antique. On y assiste à la mise en place des éléments de l’entablement d’un temple.
© Alte Nationalgalerie, Berlin
© Alte Nationalgalerie, Berlin
L’Antiquité grecque a inventé trois styles architecturaux, ou trois "ordres". En définissant les proportions et les styles, ils garantissent l’harmonie des édifices. On peut les identifier aisément en observant les colonnes d’un bâtiment, et notamment leur chapiteau, qui diffèrent beaucoup d’un style à l’autre.
Les premiers temples grecs sont construits en bois. Puis les constructeurs passent peu à peu à la pierre sans pour autant changer leur manière de construire. Les caractéristiques des temples se trouvent alors figées et codifiées, comme "gravées dans le marbre". Ce phénomène explique le succès et la longévité des ordres architecturaux classiques.
Les trois ordres constituent une clé essentielle pour lire l’architecture antique, mais aussi celle des siècles suivants. Car ces styles, redécouverts au moment de la Renaissance, inspirent les bâtisseurs durant des siècles, et sont abondamment employés dans les styles classique et néoclassique.
Le style dorique
Le style dorique est le plus ancien et le plus sobre, avec un chapiteau très simple et des colonnes assez épaisses (la proportion entre le diamètre de la base et la hauteur de la colonne est de 1/6), aux rainures en arêtes aiguës. Les colonnes n’ont pas de base. Cet ordre considéré comme sévère et martial est souvent utilisé pour les monuments imposants, comme le Parthénon. Les triglyphes et les métopes , hérités des temples en bois, sont toujours présents.

Les ordres classiques
Les dix livres du traité d’architecture de Vitruve, architecte romain du Ier siècle après Jésus-Christ, sont étudiés attentivement par les architectes et les constructeurs de la Renaissance. On y redécouvre notamment les "ordres", c’est-à-dire les styles antiques des colonnes qui soutiennent les bâtiments.
Ces styles deviennent un élément majeur de la "grammaire" des constructeurs de la Renaissance.
Les trois ordres antiques sont :
- L’ordre dorique : c’est le plus sobre, mais aussi le plus compact (la colonne est assez large par rapport à sa hauteur)
- L’ordre ionique : on le reconnaît à ses volutes sur le chapiteau
- L’ordre corinthien : son chapiteau comporte des motifs végétaux, et la colonne est élancée.
© Bibliothèque nationale de France
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Temple de Zeus à Olympie
Le métier de peintre remonte, comme pour tous les métiers du bâtiment, à la plus haute Antiquité. Les vestiges de Perse, d’Égypte ou de Grèce n’ont pas toujours été de somptueux blocs de pierre simplement sculptés. Le temps a effacé les couleurs vives qui recouvraient les idoles et les murs des temples, des palais et des maisons – à l’intérieur comme à l’extérieur. Dans les temples grecs par exemple, toutes les sculptures étaient rehaussées de rouge et de bleu, voire d’or.
Certains noms de peintres sont parvenus jusqu’à nous : ainsi l’Égyptien Aristide de Thèbes à qui l’on doit la peinture à l’encaustique (ou à la cire) au 4e siècle av. J.-C., ou Cléophante de Corinthe qui expérimenta le camaïeu (peinture monochrome imitant les bas-reliefs).
© Jacques Martel, http : //www. virtuhall. com/images/virtuel/martel/temple-zeus-u-1.htm
© Jacques Martel, http : //www. virtuhall. com/images/virtuel/martel/temple-zeus-u-1.htm

La galerie du palais Spada à Rome
Maîtrisant ces effets visuels, les architectes n’hésitent pas à en jouer pour donner au visiteur une impression de profondeur.
Dans cette galerie romaine conçue par l’architecte baroque Francesco Borromini, la perspective est faussée, donnant l’impression d’un couloir beaucoup plus long qu’il n’est en réalité. Cette galerie semble mesurer 40 m de long, mais elle en fait en réalité 9 !
Pour obtenir cet effet, le constructeur resserre peu à peu la largeur du couloir et réduit progressivement l’espace entre les colonnes, comme on peut le voir sur ce plan. De plus, la statue qui ferme la perspective est beaucoup plus petite qu’elle ne devrait l’être.
La galerie est faite pour être vue de l’extérieur. Si l’on se tient à l’intérieur, l’astuce est découverte !
Bibliothèque nationale de France
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L’entrée de la saline : les colonnes dorique et la grotte
Le style ionique

Colonne à chapiteau ionique
Le chapiteau ionique, en forme de cornes de béliers enroulées, ou de volutes, est plus complexe et orné. Le fût de la colonne est plus élancé (la proportion entre le diamètre de la base et la hauteur de la colonne est de 1/9). On trouve souvent ce style dans les bâtiments de faible proportion. Mais il existe aussi des colonnes ioniques à l’intérieur du Parthénon. Ce mélange de styles est alors une innovation remarquable.

Villa Rotonda
L’architecte italien Palladio est le premier à l’employer dans des demeures privées, comme la Villa Rotonda, située dans la campagne vénitienne.
S’inspirer d’une façade de temple pour orner une simple habitation n’est pas anodin. Palladio affirme ainsi que l’individu peut prétendre au beau et à l’harmonie, même dans un espace privé.

Chapiteau de colonne ionique de Michel-Ange
En homme du 16e siècle, Michel-Ange s’éloigne du modèle antique redécouvert au 15e siècle. Il ne parle plus d’harmonie, mais de contrastes, et joue à détourner les usages classiques des éléments d’architecture. Ce mouvement, dont Michel-Ange est le chef de file, s’appelle le maniérisme. Le maniérisme constitue une étape vers le baroque.
Ainsi, Michel-Ange invente l’ordre colossal où les colonnes ou les pilastres s’élèvent sur plusieurs étages du bâtiment, plutôt que d’en supporter un seul.
Il joue aussi sur les effets de perspective, et même sur les illusions d’optique : c’est le cas avec la forme inhabituelle, en trapèze, de la place du Capitole.
Dans l’exemple ci-contre, Michel-Ange détourne les ordres antiques des colonnes : le style ionique, caractérisé par ses spirales en cornes de béliers, est remplacé par des motifs en forme de cloche !
Bibliothèque nationale de France
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Le style corinthien

Les ordres classiques
Les dix livres du traité d’architecture de Vitruve, architecte romain du Ier siècle après Jésus-Christ, sont étudiés attentivement par les architectes et les constructeurs de la Renaissance. On y redécouvre notamment les "ordres", c’est-à-dire les styles antiques des colonnes qui soutiennent les bâtiments.
Ces styles deviennent un élément majeur de la "grammaire" des constructeurs de la Renaissance.
Les trois ordres antiques sont :
- L’ordre dorique : c’est le plus sobre, mais aussi le plus compact (la colonne est assez large par rapport à sa hauteur)
- L’ordre ionique : on le reconnaît à ses volutes sur le chapiteau
- L’ordre corinthien : son chapiteau comporte des motifs végétaux, et la colonne est élancée.
© Bibliothèque nationale de France
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Le style corinthien est le plus orné et le plus récent. Le chapiteau orné de motifs végétaux évoque la forme des feuilles d’acanthe (plante méditerranéenne aux feuilles très découpées). Les Grecs l’utiliseront très peu mais les Romains le reprendront largement à leur compte. On l’emploie pour des bâtiments moins imposants, plus précieux.

Panthéon de Rome
Encore aujourd’hui, c’est la plus grande coupole au monde en béton non armé.

Le Temple de l’Amour
Les cariatides

L’Érechthéion sur l’Acropole d’Athènes
Le respect des "ordres" architecturaux classiques n’empêche pas les Grecs d’innover. Sur la colline de l’Acropole, un curieux petit temple se démarque par ses colonnes, ni dorique, ni ionique, ni corinthienne. Ce sont des statues de jeunes femmes qui soutiennent l’entablement de la tribune de l’Érechthéion.
Ces cariatides connaîtront une large postérité en architecture. Dans le Paris du19e siècle, lors du chantier haussmannien, les immeubles les plus cossus sont souvent ornés de ces figures féminines (cariatides) ou masculines (atlantes).
© BnF
© BnF
Ce respect des "ordres" architecturaux n’empêche pas les Grecs d’innover. Sur la colline de l’Acropole, un curieux petit temple se démarque par ses colonnes, ni dorique, ni ionique, ni corinthienne.
Ce sont des statues de jeunes femmes qui soutiennent l’entablement de la tribune de l’Érechthéion. Ces cariatides connaîtront une large postérité en architecture. Dans le Paris du 19e siècle, lors du chantier haussmannien, les immeubles les plus cossus sont souvent ornés de ces figures féminines (cariatides) ou masculines (atlantes).
La redécouverte des ordres architecturaux à la Renaissance
À la Renaissance, on redécouvre la culture antique. Artistes, intellectuels et savants étudient les textes dans leur version d’origine. Ils voyagent beaucoup, surtout à Rome, pour admirer les bâtiments antiques et en faire des relevés précis. Les dix livres du traité d’architecture de Vitruve, architecte romain du Ier siècle après J.-C., sont étudiés attentivement. On y redécouvre notamment les ordres, qui deviennent un élément majeur de la "grammaire" des constructeurs de la Renaissance. Les constructeurs emploient largement les pilastres, composante majeure du style Renaissance. Ces piliers carrés encastrés dans le mur reprennent le style des ordres antiques, mais on n’hésite plus à les mélanger sur une même façade. Au 16e siècle, Michel-Ange se fait le chef de file du maniérisme, première étape vers le baroque. Il prône une plus grande liberté par rapport au modèle antique redécouvert au 15e siècle. Il ne parle plus d’harmonie, mais de contrastes. Ainsi, Michel-Ange détourne les ordres antiques des colonnes : le style ionique, caractérisé par ses spirales, est remplacé par des motifs en forme de cloche !

Tempietto de l’église San Pietro in Montorio à Rome
Le cercle, dont tous les points sont à égale distance du centre, est considéré comme la figure parfaite par les constructeurs de la Renaissance. C’est pourquoi les constructeurs privilégient les édifices à plan centré, c’est-à-dire conçu autour d’un point central. Ce type d’édifice est souvent coiffé d’une coupole.
L’un des exemples les plus emblématiques malgré ses dimensions modestes est le Tempietto de l’église San Pietro in Montorio à Rome, conçu par Bramante.
Bibliothèque nationale de France
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La pierre au Château de Versailles
La pierre de Saint-Leu est également très présente. Pierre coquillée, tendre à l’extraction, elle durcit en séchant et résiste bien dans le temps, bien que sa mise en œuvre doive s’effectuer uniquement en été, car elle s’effrite sous l’effet du gel. C’est la pierre de Saint-Leu qui donne à Versailles sa caractéristique patine blond doré.
Tous les pavages extérieurs sont en grès d’Ile-de-France, ainsi que le bassin de l’Encelade, les bosquets de la salle de bal et des trois fontaines, pour lesquels des accrétions (excroissances) naturelles de grès appelées rognons constituent une décoration de style baroque.
L’héritage de l’architecture grecque : classicisme et néoclassicisme
En réaction au mouvement baroque qui règne sur l’Italie et l’est de l’Europe, l’architecture française du 17e siècle est plus “sage”, plus stricte, plus hiératique : on parle alors de classicisme. Le palais de Versailles, la colonnade du Louvre ou encore la place Vendôme sont de parfaits exemples du “grand style”, en référence au “grand siècle” pendant lequel règne Louis XIV. On retrouve des éléments inspirés de l’Antiquité (colonnes, frontons…), souvent déclinés dans un style colossal avec de hautes et larges colonnes.
En Allemagne au tout début du 19e siècle, Karl Friedrich Schinkel (1781-1841), l’un des plus grands architectes allemands, s’illustre par son interprétation de l’héritage classique. Son architecture sobre et sévère, inspirée de l’Antiquité, est représentative du classicisme allemand. Il construit la Neue Wache, un corps de garde du château, située sur l’artère principale du centre de Berlin, Unter den Linden, et arborant un fronton soutenu par de solides colonnes doriques. Il s’éloigne néanmoins du style classique en remplaçant les triglyphes et les métopes par des statues coulées dans le zinc.
Karl Friedrich Schinkel est architecte, mais aussi peintre, décorateur de scène, créateur de mobilier et de jardins, et trouve ses sources d’inspiration dans l’Antiquité et le Moyen Âge gothique.

Vue dans la perfection de la Grèce
Karl Friedrich Schinkel (1781-1841) est architecte, peintre, décorateur de scène, créateur de mobilier et de jardins. Il s’inspire des styles de l’Antiquité et du Moyen Âge gothique, et les réinterprète.
Son importance dans la Prusse de la première moitié du 19e siècle est considérable.
Ce tableau offre une vision idéalisée d’un chantier de construction dans la Grèce antique. On y assiste à la mise en place des éléments de l’entablement d’un temple.
© Alte Nationalgalerie, Berlin
© Alte Nationalgalerie, Berlin

La Neue Wache à Berlin
La Neue Wache est un corps de garde du château, situé sur l’artère principale du centre de Berlin, Unter den Linden. Elle est l’œuvre de Karl Friedrich Schinkel, le plus grand architecte allemand du 19e siècle.
Son architecture sobre et sévère, inspirée de l’Antiquité et représentative du classicisme allemand, s’accorde parfaitement avec la fonction de commémoration du bâtiment depuis un siècle.
© Gabriel Roche-Tamic
© Gabriel Roche-Tamic
Le bâtiment néoclassique le plus célèbre au monde est sans doute la Maison-Blanche, résidence des présidents des États-Unis depuis 1800. L’architecte de la Maison-Blanche, James Hoban, propose un bâtiment aux allures de temple néoclassique, inspiré de l’Antiquité et de la Renaissance italienne.
Les deux façades principales qui s’élèvent sur deux étages possèdent un dessin symétrique, autour d’un avant-corps supporté par des colonnes ioniques. Avec sa demi-rotonde soutenue par six colonnes, immédiatement reconnaissable, la façade sud donne sur le parc du Président. Construite vers 1830, l’entrée de la façade nord est soulignée par un portique à colonnes également ioniques, coiffé d’un fronton.

Élévation de l’entrée principale du théâtre de Berlin
Schinkel a marqué le paysage de Berlin comme aucun autre architecte. Au total, ce sont environ 25 bâtiments qui portent sa signature, réalisations auxquelles il faut ajouter les nombreux projets non aboutis. Il a surtout participé à l’équipement et à l’embellissement du quartier où est implantée la Neue Wache.
© BnF
© BnF

La Maison-Blanche, un édifice néo-classique
Construite vers 1830, l’entrée de la façade Nord est soulignée par un portique à colonnes, coiffé d’un fronton. Le dessin de cette façade est repris dans tous les documents officiels de la Présidence.
Le dessin de cette façade est repris dans tous les documents officiels de la Présidence. La Maison-Blanche n’est pas le seul monument néoclassique aux États-Unis.
Presque tous les bâtiments officiels américains sont construits dans le même style, comme le Capitole, le Lincoln Memorial, le département du Trésor des États-Unis… On identifie parfois ces bâtiments comme relevant du "style fédéral".
De même, les sièges des banques et des grandes entreprises de New York, Philadelphie, Chicago ou Detroit sont élevés à l’image des temples de l’Antiquité.

Le Capitole à Washington D. C.

Le Jefferson Mémorial à Washington D. C.
Des colonnes hors norme !

Les colonnes de l’entrée de la Maison du Directeur
Élément obligé – ou presque – des édifices prestigieux durant des siècles, la colonne a aussi su s’éloigner des règles strictes des ordres classiques, ou en jouer.
À Arc-et-Senans, Claude Nicolas Ledoux invente pour sa saline un "ordre industriel" jamais vu, fait de cylindres et de panneaux carrés superposés. Pour son usine d’un nouveau genre, bâtie au siècle des Lumières, qui n’hésite pas à remettre en cause les idées anciennes, il veut un ordre nouveau !
Ces surprenantes colonnes sont peut-être aussi une réponse au roi Louis XV qui avait refusé son premier projet de saline sous prétexte qu’il comptait "trop de colonnes", ces dernières devant alors rester réservées aux temples et aux palais, et non aux usines !
Au 19er siècle, celui de la Révolution industrielle et de l’architecture de fer, un bâtiment aussi prestigieux que le nouvel opéra de Paris ne pouvait se passer de colonnes. Celles de sa façade, au premier étage, sont doubles et corinthiennes. Mais les colonnes des espaces intérieurs innovent en jouant l’association des matériaux : fût de pierre et chapiteau de fonte inventent un ordre propre au siècle de la métallurgie.

Construction de l’opéra Garnier à Paris, escaliers secondaires, colonnes de granit, chapiteaux de fer poli

Les colonnes de Buren au Palais-Royal
Le Palais-Royal accueille les bureaux du ministère de la Culture. En 1985, le ministre Jack Lang confie à l’artiste Daniel Buren la réalisation d’une œuvre de grande échelle : Les Deux Plateaux.
Sur 3000 m2 sont disposées 260 colonnes de différente hauteur, en marbre blanc zébré de noir, faisant écho aux colonnades du Palais-Royal, mais rappelant aussi les ruines antiques. Les colonnes sont ouvertes au public qui peut librement s'y asseoir ou même les escalader. Mais introduire une œuvre contemporaine dans un site historique ne va pas de soi. Les colonnes déclenchent une violente polémique. Le chantier est interrompu, puis repris. En 2008, l'œuvre, très dégradée, est complètement restaurée.
Daniel Buren, Les Deux Plateaux, sculpture in situ, cour d'honneur du Palais-Royal, Paris, 1985-1986. Détails. © DB-ADAGP Paris
Daniel Buren, Les Deux Plateaux, sculpture in situ, cour d'honneur du Palais-Royal, Paris, 1985-1986. Détails. © DB-ADAGP Paris