La tradition chinoise des parc impériaux
À trente li ou trois lieues, au nord-ouest de la porte de Pékin, appelée Si-tchi-mén (la "porte située directement à l’ouest"), on trouve un grand bourg que l’on nomme Haï-thien, habité naguère encore, comme autrefois Versailles, par une population nombreuse, attachée à la cour des empereurs chinois, qui vivait uniquement des nombreuses industries que ces empereurs se plaisaient à entretenir et à encourager. Au delà de ce bourg, est situé un parc immense, plus grand à lui seul que toute la ville de Pékin, et ayant aussi deux enceintes carrées concentriques, dans lesquelles se trouvaient disséminées quarante palais d’architecture purement chinoise, dont on donne ici plusieurs spécimens dessinés d’après quelques-uns des quarante magnifiques dessins coloriés et exécutés sur soie par des artistes chinois, lesquels dessins ornent un album provenant du cabinet de l’empereur Khien-loung, et acheté, dans ces derniers temps, par la Bibliothèque impériale de Paris. On y a ajouté une autre vue, tirée d’un album représentant en vingt dessins, aussi coloriés, les palais construits à l’européenne par le même empereur.
Ce fut l’empereur Young-tching, qui, sur les recommandations de son père, le célèbre Kang-hi, contemporain de Louis XIV, choisit cette localité, au nord-ouest de Pékin, pour y établir sa résidence d’été ; mais ce fut son petit-fils, l’empereur Khien-loung, mort en 1796, après un règne de soixante ans, qui fit de cette résidence l’ensemble le plus extraordinaire de palais, de pavillons, de kiosques, de pièces d’eau, de rochers, de collines et de vallées factices que la main de l’homme ait jamais créé.
Dès les premiers temps de la monarchie chinoise on voit les souverains de ce pays, comme d’ailleurs ceux des autres monarques asiatiques, rechercher avec passion le luxe des palais et des grands parcs réservés. Ainsi on lit dans le philosophe Meng-tseu (368 avant J.-C.) :
"Siouan-Wang, roi de Tsi, interrogea Meng-tseu en ces termes : J’ai entendu dire que le parc de Wen-Wang avait soixante-dix li (sept lieues) de circonférence ; les avait-il véritablement ?
Meng-tseu répondit : c’est ce que l’histoire rapporte.
Le roi dit : D’après cela, il était donc d’une grandeur excessive ?
Meng-tseu dit : Le peuple le trouvait encore trop petit.
Le roi ajouta : J’ai un parc qui n’a que quarante li (quatre lieues) de circonférence, et le peuple le trouve encore trop grand ; pourquoi cette différence ?
Meng-tseu répondit : Le parc de Wen-Wang avait soixante-dix li de circuit ; mais c’était là que se rendaient tous ceux qui avaient besoin de cueillir de l’herbe ou de couper du bois. Ceux qui désiraient prendre des faisans ou des lièvres allaient là. Comme le roi avait son parc en commun avec le peuple, celui-ci le trouvait trop petit ? quoiqu’il eût sept lieues de circonférence. Cela n’était-il pas juste ?
Moi, votre serviteur, continue le philosophe, lorsque je commençai à franchir la frontière, je m’informai de ce qui était principalement défendu dans votre royaume, avant d’oser pénétrer plus avant. Votre serviteur apprit qu’il y avait un parc de quatre lieues de tour, que l’homme du peuple qui y tuait un cerf était puni de mort, comme s’il avait commis le meurtre d’un homme ; alors ce parc est une véritable fosse de mort de quatre lieues de circonférence ouverte au sein de votre royaume. Le peuple, qui trouve ce parc trop grand, n’a-t-il pas raison ?
Le roi parla d’autre chose.
"Palais d’Été de l’empereur Khien-Loung", Guillaume Pauthier, Le Tour du Monde, 1864