Matériau : le fer dans la construction
Le fer se trouve à l’état naturel dans des roches (minerais) contenant des oxydes de fer. À partir de l’Âge du fer (12e siècle avant J.-C. dans le sud de l’Europe), on sait l’extraire en le chauffant pour fabriquer outils, armes et ustensiles.
Le fer intervient très tôt dans la construction, sous forme de pièces qui maintiennent les matériaux de base (bois, pierre), puis pour des éléments de décoration. Ce n’est qu’au 19e siècle, avec la Révolution industrielle, qu’il devient un composant fondamental des nouvelles constructions. Le 20e et le 21e siècles renforcent cette tendance et ont massivement recours au fer et à l’acier.
Fabrication
Pendant l’Antiquité et jusqu’à la fin du Moyen Âge, on extrait le fer en faisant chauffer des couches superposées de minerai de fer et de bois ou charbon de bois. Dans ces « bas fourneaux », les températures obtenues ne sont pas très élevées et le métal devient pâteux. Il est ensuite martelé par le forgeron pour être débarrassé de ses impuretés.
Usage
C’est pourquoi le fer reste alors produit en petite quantité, que l’on utilise pour fabriquer de petits objets (armes, outils…). On y a parfois recours dans la construction, mais seulement pour de petites pièces : agrafes, chaînes, ancres… qui permettent de maintenir les pierres entre elles.
Dans la Grèce antique, des barres métalliques peuvent venir renforcer la structure des temples de marbre.
Cette technique de la pierre agrafée ou « pierre armée » perdure jusqu’au 19e siècle.
Mythologie
Dans la mythologie grecque, Héphaïstos est le dieu du feu, du fer, et donc des forgerons. Les Romains le rebaptisent Vulcain. Fils de Jupiter, le roi des dieux, et de Junon, sa femme, il naît difforme et est aussitôt renié par sa mère qui le précipite du haut de l’Olympe, la montagne des dieux. Sa chute se termine dans la mer, où il est sauvé et recueilli par Thétis et Eurynomé, les filles d’Océan. Pendant neuf ans, il habite dans une grotte et apprend à forger, grâce au feu d’un volcan, des boucles, des agrafes et des bijoux.
Au Moyen Âge, des poutres de fer servent de renfort aux charpentes de bois des maisons, surtout citadines, qui comptent plusieurs étages.
Mais le fer est aussi indispensable dans la serrurerie ou pour fabriquer certains éléments comme la herse (grille de défense de la porte) des châteaux forts ou les grilles qui en protègent les ouvertures.
Sur les chantiers des cathédrales et des églises gothiques, le fer est bien présent. On estime que chaque bâtiment en compte plusieurs dizaines de tonnes. Ce matériau intervient sous plusieurs formes :
- de simples agrafes entre les pierres, ou des étriers et des chevilles dans la charpente ;
- de gros tirants de fer : poutres métalliques consolidant les structures de pierre ou les charpentes de bois ;
- les barlotières de vitraux : des traverses en fer qui maintiennent les panneaux de vitrail à la maçonnerie. D’après certaines estimations, les vitraux emploient près de 50 % du fer des cathédrales ;
- des structures de consolidation, appelées « chaînages » : emboîtement de barres de fer qui enserrent une partie du bâtiment et stoppent les poussées latérales qui pourraient le faire effondrer. Un tel chaînage a été mis en place en urgence dans la cathédrale d’Amiens qui menaçait de s’écrouler. Des systèmes de chaînage plus réduits, enfouis dans la maçonnerie ou apparents, peuvent aussi encercler les tours.
Les artisans du métal, forgerons, serruriers et ferronniers étaient donc omniprésents sur le chantier des cathédrales, qu’on imagine parfois à tort faites uniquement de pierre et de bois.
Renaissance
La technique du haut-fourneau, permettant des températures élevées, existe en Chine depuis le 5e siècle. Mais en Occident, il faut attendre le début du 15e siècle pour qu’apparaissent des hauts-fourneaux de taille encore modeste, couplés à un moulin à eau actionnant un soufflet ( « soufflet hydraulique » ). Ce dispositif permet d’obtenir un métal sous forme liquide, facile à mouler : c’est la fonte (mélange en fusion composé de fer et de carbone).
De la Renaissance au 18e siècle : le fer devient décoratif
À partir de la Renaissance, la ferronnerie n’est plus utilisée seulement comme protection visant à renforcer le bois ou la pierre. Elle devient un élément décoratif à part entière, employée pour les balustres, les rampes d’escaliers ou les balcons, balconnets, garde-corps et même parfois pour les colonnes. Ainsi au château de Versailles, elle s’orne de motifs dorés ou argentés particulièrement remarquables.
Au 18e siècle, le style baroque met particulièrement la ferronnerie à l’honneur
19e siècle
Le 19e siècle est l’âge d’or du fer dans la construction, en raison des progrès des techniques de la sidérurgie. Le métier de métallier apparaît alors
La fabrication
Le minerai est désormais fondu avec de la houille dans des hauts-fourneaux qui permettent d’atteindre des températures élevées, et de produire en quantité.
En 1807, 300 hauts-fourneaux produisent 450 000 tonnes de fonte en France.
Selon le taux de carbone, on obtient différents produits :
La fonte : produit brut du haut-fourneau, elle est dure et cassante. On peut la mouler dans toutes les formes souhaitées. Elle résiste mal à la flexion, mais parfaitement à la pression : c’est pourquoi la fonte est largement utilisée pour les colonnes et les éléments décoratifs.
Le fer : il est obtenu par décarburation (élimination d’une partie du carbone) de la fonte, ce qui contribue à le rendre plus résistant à la traction et malléable. Le fer est utilisé, sous forme de poutres, pour les charpentes et les structures, en raison de sa solidité.
L’acier : L’acier est un alliage métallique composé de carbone et de fer, obtenu par affinage de la fonte (procédé Bessemer, 1856). La transformation de la matière se déroule dans les hauts fourneaux : on porte le minerai de fer et le coke à une température de 1 500°. Le coke se consume et le fer se charge de carbone : on obtient de la fonte. La fonte, alors à l’état liquide, est versée sur de la ferraille, où le carbone est finalement éliminé. Cette opération aboutit à la naissance de l’acier, que l’on peut enrichir de nickel, de chrome ou autre en fonction de l’usage que l’on en fera (bâtiment, construction automobile, etc.). L’acier est d’abord réservé à la construction mécanique et aux armements. Peu utilisé dans la construction avant 1890, c’est pourtant un matériau très dur, résistant et ductile (qui peut se déformer sans casser).
La standardisation des éléments métalliques : l’exemple de la « ferme Polonceau »
Fondues dans des moules, vendues sur catalogue, les pièces nécessaires à la construction d’un édifice à structure métallique sont standardisées.
En 1836, l’ingénieur Camille Polonceau invente pour la charpente d’un petit hangar une pièce triangulaire de fer et de bois, puis de profilés d’acier et de fonte, connue sous le nom de « ferme Polonceau ». Cette pièce très légère résiste aux tractions et aux pressions en œuvre dans une charpente. Elle est employée dans de nombreuses gares.
Les qualités du métal dans la construction
- Il résiste au feu. Dès 1830, tous les combles des théâtres parisiens sont en fer à cause du danger permanent que représente l’éclairage aux bougies puis au gaz.
- Il est solide. Sa solidité et sa résistance sont beaucoup plus élevées que celles du bois ou de la pierre.
- Il est imputrescible (il ne pourrit pas), si on l’entretient bien.
Usages
L’industrialisation de la production du fer débute véritablement vers 1840-1850. Elle entraîne une réflexion sur le renouvellement des techniques de construction, et favorise progressivement l’usage du fer et de la fonte sur les nouveaux chantiers.
Mais l’architecture de fer ne s’impose pas en même temps dans tous les bâtiments.
Le métal est d’abord utilisé pour les charpentes : parce qu’il les protège du feu, mais aussi parce que ce matériau nouveau dérange encore. Dissimulé sous la couverture, il échappe aux regards !
Les colonnes de fonte qui permettent d’ouvrir de vastes espaces sans mur s’imposent dans les gares, les usines, les marchés couverts ou les grands magasins… Le premier bâtiment à afficher au grand jour sa structure métallique est une usine, située en région parisienne et non au cœur de Paris : la chocolaterie Menier à Noisiel, construite en 1871.
Les planchers en métal s’imposent d’abord dans les théâtres quand une ordonnance interdit de les construire en bois pour éviter les risques d’incendie.
De nombreux ponts sont également construits tout en métal, ou selon une technique mixte pierre-métal. Le pont des Arts à Paris est le premier pont français construit en fonte.
Ce n’est que dans le dernier tiers du 19e siècle que l’architecture de fer conquiert des bâtiments plus prestigieux comme les musées ou les bibliothèques. L’exposition universelle de 1889 dont la tour Eiffel est la vedette sert de déclencheur. Pourtant, certaines constructions restent cachées derrière un parement de pierre qui donne à l’édifice une allure plus classique, par exemple la façade extérieure du Grand Palais. L’intérieur affiche en revanche sa structure de fer et de verre.
Un événement particulier a probablement accéléré la diffusion du métal dans le secteur de la construction : la grève des charpentiers parisiens qui se prolonge durant de longs mois en 1845. Privés de bois, les entrepreneurs ont alors recours au fer pour pouvoir achever les constructions commencées, contribuant ainsi à vulgariser ce qui était encore un matériau d’exception.
Le fer et le verre
L’allié du fer dans la construction est le verre, qui « remplit » en toute transparence les légères structures métalliques. On voit alors apparaître des galeries marchandes éclairées par la lumière du jour, des serres gigantesques comme celles du Jardin des Plantes à Paris. L’exemple le plus spectaculaire de cette association est le Crystal Palace de Londres, qui abrite l’exposition universelle de 1851.
Le fer investit les habitations privées
L’architecture de fer s’impose d’abord dans les bâtiments publics ou industriels. Les immeubles et les maisons privés ont surtout recours au fer pour leurs balcons ou parfois leurs portes d’entrée. Mais en 1882, un décret autorise à Paris les constructions en saillie (qui débordent du plan vertical) de 80 cm maximum à partir d’une hauteur de 5, 75 m. Cette disposition répond à une attente des constructeurs mécontents de la monotonie des alignements haussmanniens.
Naissent alors les immeubles avec « bow-windows » (ou oriels), fenêtre en surplomb au-dessus de la rue, qui apportent clarté et espace supplémentaire. Léger et peu volumineux, le fer s’adapte bien à la réalisation de ces éléments de façade, qui peuvent être de formes diverses : rectangulaires, en courbe…
Encouragé par l’Art Nouveau
Avec l’Art Nouveau qui naît à la fin du 19e siècle, le fer s’impose tout naturellement dans ce courant qui cherche à renouveler l’esthétique des différents domaines (les arts appliqués comme l’ameublement, la peinture, l’architecture…).
L’Art Nouveau s’inspire des formes de la nature, en particulier des lignes végétales sinueuses et asymétriques. Le fer est alors largement employé dans des décorations (rampes, ferronnerie, vitraux) qui prolongent sans rupture la structure métallique des bâtiments. Ce style séduit par sa luminosité et son originalité. Il est adopté dans de nombreux immeubles d’habitation et maisons privées.
La naissance des gratte-ciel
En 1871, le centre de Chicago est ravagé par un incendie. La reconstruction est l’occasion d’édifier des bâtiments en hauteur. La structure des premiers bâtiments est en fonte, avec des façades de pierre. Cette combinaison très lourde, où la pierre comme le métal sont porteurs, ne permet pas de dépasser les 17 étages.
Il faut attendre l’emploi de l’acier pour élever des bâtiments plus légers et plus hauts. Le premier gratte-ciel est, en 1885, le Home Insurance Building. Sa structure est en acier ; son mur de pierre est un « rideau » qui habille l’ensemble mais ne soutient pas. Chicago devient ainsi la capitale de l’architecture moderne, et on parle d’ « école de Chicago ».