Mobilités, itinérances, migrations
La mobilité a longtemps fait partie du métier de maçon. Au Moyen Âge, le maçon voyage au gré de son travail : entouré de ses compagnons, il prend la route à pied pour les chantiers qui embauchent, parfois situés à plusieurs centaines de kilomètres.
Quand les maçons venaient de la Creuse…
Profession itinérante, la maçonnerie est depuis toujours au cœur des grandes migrations. L’exemple des “maçons de la Creuse” est à ce titre particulièrement parlant : en raison de terres insuffisamment fertiles, les habitants du Centre de la France (département de la Creuse, voire région du Limousin) ne pouvaient subvenir aux besoins de leurs familles. Très tôt, ils se sont vus contraints de partir, alors qu’ils étaient parfois encore enfants, vers les grands chantiers de construction des villes importantes (Lyon, Paris) pour servir en tant que main-d’œuvre. Le métier de maçon, très physique, leur était souvent réservé. Les conditions dans lesquelles ces travailleurs saisonniers vivaient, loin de leur terre natale, étaient bien souvent déplorables : des “vendeurs de sommeil” louaient à la nuit des chambres, voire des lits partagés avec de nombreux autres compagnons sans préoccupation concernant l’hygiène (pas d’eau, ni même de fenêtres) : c’est ce que l’on appelait les “garnis”. Cet exode rural eut de nombreuses conséquences démographiques, politiques et sociales : ainsi, en un siècle (1850-1950), le département de la Creuse vit sa population divisée par deux. Les mouvements saisonniers des “maçons de la Creuse” inspirèrent aussi la méfiance ou la crainte de la part de la population et des autorités. Souvent pauvres, peu instruits, ces hommes attiraient les railleries et les provocations de la part des paysans ou des bourgeois. Pour surveiller les mouvements de population, un livret ouvrier, dans lequel étaient notées toutes les embauches de l’intéressé, fut rendu obligatoire jusqu’en 1890. Le “maçon de la Creuse” revêt plus que jamais les traits d’un phénomène de société à la parution de Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon en 1895. Son auteur, Martin Nadaud, est lui-même un ancien maçon parvenu, après des années d’apprentissage, au gré de longs voyages en France et en Angleterre, à la faveur d’une éducation politique, député puis préfet de la Creuse.
Une immigration de plus en plus large
La région du Frioul (Italie) fut également une grande terre d’émigration au 19e siècle. Les hommes partaient au moins dans un premier temps seuls et étaient parfois rejoints par leurs familles lorsqu’ils décidaient de s’installer de manière permanente dans leurs pays d’accueil (France, Empire austro-hongrois, voire Russie, États-Unis, Argentine, Brésil…). Dès le début du 20e siècle, le phénomène touche aussi d’autres pays du bassin méditerranéen comme l’Espagne ou le Portugal. Après la Seconde Guerre mondiale, les grands chantiers de la Reconstruction mobilisent de très nombreux travailleurs. En France, jusque dans les années 1970, l’État pratique une importante politique d’immigration pour attirer les travailleurs des ex-colonies : les chantiers des grands ensembles, des ZUP et des villes nouvelles nécessitent une main-d’œuvre peu qualifiée. Car les tâches certes sont désormais moins périlleuses, mais la mécanisation du chantier les a rendues souvent plus répétitives.
Les travailleurs "détachés", un phénomène récent
Aujourd’hui, la problématique de l’itinérance dans le cadre européen va de pair avec celle des "travailleurs détachés", c’est-à-dire travaillant dans un État membre de l’UE parce que leur employeur les envoie provisoirement poursuivre leurs fonctions dans cet État. Cette catégorie ne comprend pas les travailleurs migrants qui se rendent dans un autre État membre pour y chercher un emploi et qui y travaillent.