Un métallurgiste

— par Didier Daeninckx

Michel, un métallurgiste, transporte de l'acier en fusion du haut-fourneau au bac de réception.

Michel avance sur les rails et vient se placer sous le cul du haut-fourneau. Il ne peut retenir un frisson d’angoisse quand le poids du métal liquide qui se déverse dans la poche, juste au-dessus de sa tête, fait trembler son siège. Dans deux minutes, tout sera fini, il lui suffira de rouler sur cent mètres et de déverser sa cargaison infernale dans le bac.
La première flammèche tombe sur le capot, puis une autre, une autre encore… Bientôt ce sont des litres, des kilos de matière en fusion qui coulent sur les parois de son tracteur. Son poing écrase l’avertisseur, mais son beuglement dérisoire se perd dans le vacarme du train universel. La chaleur a subitement atteint cinquante degrés dans la cabine. Il se déshabille entièrement, pisse sur ses vêtements pour essayer de lutter contre cette angoisse de brûler vif, cogne de toutes ses forces contre les épaisses vitres de son cercueil. On le voit enfin… Il faudra plus d’une heure pour dessouder la portière, la débarrasser de la gangue pétrifiée. Le type, là-haut, avait eu un coup de fatigue. Une minute d’inattention.

“Les gestes perdus“, En marge, Didier Daeninckx, Denoël, 1994.