Visite de la Grande Pyramide

— par Gustave Flaubert

Ascension. Levé à cinq heures le premier, je fais ma toilette devant la tente, dans le seau de toile. Nous entendons quelques cris de chacal. Montée de la Grande Pyramide, celle de droite (Chéops). Les pierres, qui, à deux cents pas de distance, semblent grandes comme des pavés, n’en ont pas moins, les plus petites, trois pieds de haut ; généralement elles vous viennent à la poitrine. Nous montons par l’angle de gauche (celui qui regarde la Pyramide de Chéphren) ; les Arabes me poussent, me tirent, je n’en peux plus, c’est désespérant d’éreintement. Je m’arrête cinq ou six fois en route, Maxime est parti devant et va vite. Enfin j’arrive en haut.
Nous attendons le lever du soleil une bonne demi-heure.

[…]

Intérieur de la Grande Pyramide. Après le déjeuner nous visitons l’intérieur de la Pyramide. Elle s’ouvre du côté Nord, couloir tout uni (comme un égout) dans lequel on descend ; couloir qui remonte ; nous glissons sur les crottes de chauves-souris. Il semble que ces couloirs aient été faits pour y laisser doucement glisser des cercueils disproportionnés. Avant la chambre du roi, corridor plus large avec de grandes rainures longitudinales dans la pierre, comme si on y avait baissé quelque herse. Chambre du roi, tout granit en pierres énormes, sarcophage vide au fond. Chambre de la reine, plus petite, même forme carrée communiquant probablement avec la chambre du roi.
En sortant à quatre pattes d’un couloir, nous rencontrons des Anglais qui veulent y entrer, et tous dans la même posture que nous ; nous échangeons des politesses et chacun suit sa route.

Pyramide de Chéphren. On ne monte pas dessus, si ce n’est Abdallah. “Abdallah cinq minutes montir.” À l’extrémité son revêtement subsiste encore, blanchi par les fientes d’oiseaux.

Intérieur. Chambre de Belzoni. Au fond un sarcophage vide. Belzoni n’y a rien trouvé que quelques ossements de bœuf, c’était peut-être ceux d’Apis. Sous le nom de Belzoni, et non moins gros,
est celui de M. Just de Chasseloup-Laubat. On est irrité par la quantité de noms d’imbéciles écrits partout en haut de la Grande Pyramide il y a un Buffard, 79, rue Saint-Martin, fabricant de papiers peints, en lettres noires ; un Anglais enthousiaste, a écrit Jenny Lind ; de plus, une poire représentant Louis-Philippe (presque tous noms modernes), et le jeu arabe, parallélogramme garni de petits trous ; on met de petits cailloux dans les trous, c’est un calcul.

Par les champs et par les grèves. Voyages et carnets de voyages, Gustave Flaubert, 1886