Une maison conçue pour ses habitants

Maquette de la maison Schröder de Gerrit Rietveld à Utrecht (1924)
Le rez-de-chaussée comporte un hall d’entrée avec des bancs pour mettre ou enlever ses chaussures, des placards adaptés à la taille des enfants et des adultes, une bibliothèque et salle de lecture, un petit appartement séparé et enfin la cuisine-salle à manger et les WC.
Au niveau supérieur, le visiteur se trouve au milieu d’une pièce aérée et lumineuse. Les murs d’appui sont réduits au minimum et laissent autant que possible la place à des cloisons légères et coulissantes qui permettent de varier la disposition de la maison en fonction des heures de la journée.

Axonométrie de la maison Schröder de Gerrit Rietveld à Utrecht (1924)
La légèreté de la construction autorise à diminuer les points d’appui et autres murs porteurs. Les cloisons séparant les pièces sont faites de panneaux très légers constitués de liège recouvert d’une couche de bitume (excellent pour l’isolation) et d’aggloméré, facilement manipulables. Les rails sur lesquels coulissent ces panneaux matérialisent les limites des pièces : au sol comme au plafond, les transitions sont annoncées par l’utilisation des couleurs primaires, du noir, gris, blanc ou du marron.
Contrairement à Le Corbusier qui ne se préoccupait guère des envies de ses clients, Gerrit Rietveld reste perpétuellement à l’écoute de Truus Schröder-Schräder. Celle-ci a une idée très précise de ce projet : elle veut une maison moderne et pratique pour sa famille, mais aussi un lieu de rencontres, et un espace ouvert sur l’extérieur. Cette grande modernité, qui frappe encore aujourd’hui, a parfois choqué la société bien-pensante d’Utrecht au point que la maison fut parfois qualifiée de “maison de cinglés” !
…Un nouvel art de vivre
Au début du 20e siècle, la bourgeoisie impose encore un certain nombre de règles et de codes dans la vie de tous les jours : c’est ce que l’on pouvait appeler les “bonnes mœurs”. Ainsi, une femme ne doit pas vivre seule ; les enfants sont élevés par un précepteur, dans l’autorité… La maison bourgeoise reflète cette manière de vivre : les dépendances du personnel de maison (cuisine, services…) doivent être invisibles pour les maîtres. La vie domestique ne doit pas s’exposer à la rue ; chaque foyer est renfermé sur soi-même, à l’abri des regards. Le salon et la salle à manger sont réservés aux jours de réception – tout comme la vaisselle fine.
Truus Schröder, Gerrit Rietveld et plus largement les architectes d’avant-garde voient une absurdité dans ce mode de vie : les meubles et objets ne sont pas pratiques à transporter, nettoyer, utiliser et des espaces entiers dans la maison ne servent à rien. La maison Schröder sort du cadre bourgeois et propose un nouvel art de vivre, où toutes les pièces ont un usage quotidien. Pas de protocole ni de cérémonie : les repas sont pris au quotidien dans la salle à vivre. Dessinés par Rietveld, tous les meubles sont pratiques, faciles à utiliser et à entretenir. Chaque placard, tiroir ou porte-manteau est à sa place et a son usage à un moment de la journée. Tout ce qui est inutile ou superflu a été éliminé. Preuve de la modernité et de la qualité de la maison Schröder : Truus y habita jusqu’à sa mort en 1985 sans y avoir modifié le moindre détail.
Truus Schröder-Schräder, un commanditaire et une collaboratrice

Truus Schröder-Schräder
Née en 1889 dans une famille aisée et cultivée, Truus Schröder-Schräder (1889-1985) est une femme libre et indépendante qui se soucie surtout de l’épanouissement et du bonheur de ses enfants. Même si tout le monde habite sous le même toit et en communauté, chacun doit trouver sa place et se sentir bien.
Sa rencontre avec Gerrit Rietveld est le début d’une relation durable. Par la suite, tous deux travailleront ensemble à d’autres projets : design d’objets et de mobilier, conception de logements… Toutes ces réalisations sont dans la lignée de la maison Schröder : pratiques, fonctionnelles, elles doivent simplifier la vie de leurs usagers. Militante féministe, Truus Schröder a à cœur de créer des espaces qui libèrent la femme des tâches ménagères et où les enfants peuvent grandir en toute liberté.
Une maison pour les enfants
Il est un peu difficile aujourd’hui d’imaginer à quel point l’éducation des enfants était stricte il y a un siècle. À peu près considéré comme un “être en devenir”, l’enfant n’avait pas vraiment le droit à la parole. Un certain nombre d’intellectuels, de militants et de pédagogues s’élèvent alors contre cette situation et réfléchissent à des principes d’éducation plus libres, laissant la possibilité à l’enfant de s’exprimer sans contrainte. Truus Schröder a connaissance de ces idées et y adhère ; elle aussi pense que l’éducation passe par l’épanouissement et non par la contrainte. Mère de deux filles et d’un garçon, elle veut faire de sa maison un lieu où l’enfant a autant sa place que l’adulte et où il peut agir en toute liberté.
Des années plus tard, elle raconte une anecdote particulièrement révélatrice. Lorsque ses enfants rentraient de l’école, Truus leur disait de sauter par-dessus les parties blanches du sol pour éviter d’y laisser des traces. Quand elle confia ses regrets de leur avoir interdit quelque chose, ses enfants répondirent qu’ils avaient pris cette contrainte pour un jeu !
Une foule de petits détails… pour simplifier la vie

Plans et élévations de la maison Schröder de Gerrit Rietveld à Utrecht (1924)
Le rez-de-chaussée comporte un hall d’entrée avec des bancs pour mettre ou enlever ses chaussures, des placards adaptés à la taille des enfants et des adultes, une bibliothèque et salle de lecture, un petit appartement séparé et enfin la cuisine-salle à manger et les WC.
Au niveau supérieur, le visiteur se trouve au milieu d’une pièce aérée et lumineuse. Les murs d’appui sont réduits au minimum et laissent autant que possible la place à des cloisons légères et coulissantes qui permettent de varier la disposition de la maison en fonction des heures de la journée.

Porte avec table à repasser
Si la légèreté des cloisons permet une manipulation aisée, on pourrait s’interroger sur les grandes baies vitrées, très lourdes et forcément fragiles. Mais Rietveld a pensé à tout : pour être ouvertes entièrement, ces fenêtres sont manipulables grâce à des barres de manœuvre qui peuvent être bloquées sur les allèges.
La maison fourmille d’aménagements et de petits dispositifs ingénieux. À l’extérieur de la maison, une sonnette avertit les occupants qui peuvent, avant d’ouvrir, parler avec la personne se trouvant devant la porte. Un banc est disposé en cas d’attente. Juste à côté, communiquant avec la cuisine du rez-de-chaussée, une fenêtre permet de faire passer les commissions. Dans le hall d’entrée, le tableau électrique est visible et facilement accessible en cas de rupture de courant. Un téléphone (objet encore rare dans l’Europe des années 1920) est aussi fixé au mur. Les meubles, tous dessinés par Rietveld, rivalisent de fonctionnalisme et sont aussi flexibles que la maison elle-même, ainsi, une porte cache une table à repasser à déplier. Le jour, les chambres, dont les cloisons sont repliées, s’ouvrent sur l’espace central. Les lits des enfants – la nuit – se transforment le jour en sofa. La salle à manger n’est plus un sanctuaire réservé aux jours de fête, mais une pièce à vivre au quotidien. Chaque pièce bénéficie d’un placard de rangement, d’un point d’eau et d’un petit équipement électrique pour garantir à chacun son indépendance. La chambre de Truus est la plus isolée, mais aussi la plus petite, laissant les grandes pièces à ses enfants.
Si la légèreté des cloisons permet une manipulation aisée, on pourrait s’interroger sur les grandes baies vitrées, très lourdes et forcément fragiles. Mais Rietveld a pensé à tout : pour être ouvertes entièrement, ces fenêtres sont manipulables grâce à des barres de manœuvre qui peuvent être bloquées sur les allèges.
Au cœur de la vie intellectuelle d’Utrecht
Si le bien-être de l’enfant constitue l’une des priorités pour Truus Schröder-Schräder, la maison doit aussi être un lieu d’échanges, de rencontres et de discussions. Au cœur de la maison, la pièce à vivre est équipée d’un phonographe et d’un projecteur de cinéma. De nombreux intellectuels se retrouvent à la maison Schröder pour écouter de la musique, visionner des films, parler d’art et de politique.
Un nouvel environnement…

Cuisine de la maison Schröder de Gerrit Rietveld à Utrecht (1924) avec les chaises zig-zag
Truus Schröder souhaitait voir et ressentir la nature au gré de l’année et des saisons depuis sa maison, sans avoir à en sortir. Son vœu est exaucé par Rietveld qui ouvre complètement la maison sur l’extérieur. Parmi les nombreuses ouvertures, celles du coin salle à manger sont sans doute les plus impressionnantes : deux immenses surfaces vitrées se croisent à angle droit sans qu’aucun mur aveugle ne vienne gêner le regard. Au moment où elle fut construite, la maison se trouvait presque à la limite de la ville et on pouvait y apprécier le spectacle de la nature et des arbres. Depuis, le paysage a changé : une voie rapide surélevée a été construite dans les années 1960 à seulement quelques dizaines de mètres.