Poésies

— par Blaise Cendrars, Jean Cocteau, Raymond Queneau

Tour

1910
Castellamare
Je dînais d’une orange à l’ombre d’un oranger
Quand, tout à coup...
Ce n’était pas l’éruption du Vésuve
Ce n’était pas le nuage de sauterelles, une des dix plaies d’Egype
Ni Pompéi
Ce n’était pas les cris ressuscités des mastodontes géants
Ce n’était pas la trompette annoncée
Ni la grenouille de Pierre Brisset
Quand, tout à coup,
Feux
Chocs
Rebondissements
Etincelle des horizons simultanés
Mon sexe
O Tout Eiffel !
Je ne t’ai pas chaussée d’or
Je ne t’ai pas fait danser sur les dalles de cristal
Je ne t’ai pas vouée au Python comme une vierge de Carthage
Je ne t’ai pas revêtue du péplum de la Grèce
Je ne t’ai jamais fait divaguer dans l’enceinte des menhirs
Je ne t’ai pas nommée Tige de David ni Bois de la Croix
Lignum Crucis
O Tour Eiffel
Feu d’artifice géant de l’Exposition Universelle !
Sur le Gange
A Bénarès
Parmi les toupies onanistes des temples hindous
Et les cris colorés des multitudes de l’Orient
Tu te penches, gracieux palmier !
C’est toi qui à l’époque légendaire du peuple hébreu
Confondis la langue des hommes
O Babel !
(…)

Blaise Cendrars – « Tour » (1913)

Le Chant du Paveur

... Autour du cou charmant Eiffel
la belle girafe en dentelle
rendez-vous de pigeons voyageurs inconnus
et laisse en bas l’azur éloquent choir
au bord de l’eau...
Le chant du Paveur

Jean Cocteau, Le Cap de bonne Espérance, 1919

La Tour squelettique

Tour Eiffel d’ossements
Catacombes aériennes
Tibias escaliers
Et à trois cents mètres au-dessus du sol
Le crâne antenne
Qui ne parle que pour l’écoute

Raymond Queneau, Courir les rues, 1967