"Un très moderne immeuble de rapport"

— par Paul Signac

Le Castel Béranger n’a de romantique que sa dénomination ; c’est un très moderne immeuble de rapport à trois corps contenant une quarantaine d’appartements. Sa façade, au lieu d’être l’habituel rectangle, percé d’ouvertures symétriques, est multiple : la brique rouge ou émaillée, la pierre blanche, le grès flammé, la meulière s’y disposent en pans inégaux et en teintes variées sur lesquels grimpent, teintés d’unique bleu-vert, le fer et la fonte des balcons, des bow-windows, des ancres de chaînage, des tuyaux, des chêneaux, et les boiseries, d’une teinte identique, mais à un ton plus clair. La porte d’entrée en cuivre rouge étincelle ; le vestibule n’a rien du banal vomitoire acajou en faux-marbre : les grès flammés de Bigot, le cuivre, la tôle découpée, la mosaïque de grès cérame, la fibrocortchoïna le revêtent somptueusement ; les escaliers n’ont pas la sournoise gravité de celui de Pot-Bouille : ils sont hardiment orangé, bleu ouvert, les murs recouverts de cordolova et d’étoffes aux arabesques dynamogéniques, les marches tendues de tapis aux entrelacs escaladeurs.
Chaque appartement a son caractère particulier : le bourgeois, le travailleur, l’artiste, le smart y peuvent trouver ce qui leur convient ; l’amateur des jardins y peut satisfaire ses goûts grâce aux plates-bandes du rez-de-chaussée ou des terrasses supérieures.

La Revue blanche, Paul Signac, 15 février 1 899