Ruy Blas

— par Victor Hugo

La pièce de Victor Hugo Ruy Blas a pour cadre la cour d’Espagne. Un noble, Don Salluste, disgracié par la reine d’Espagne pour son inconduite, décide de se venger. Il convainc son valet Ruy Blas de prendre l’habit de son cousin, et encourage son amour pour la reine, espérant ainsi la perdre.

RUY BLAS
Invente, imagine, suppose.
Fouille dans ton esprit. Cherches-y quelque chose
D’étrange, d’insensé, d’horrible et d’inouï.
Une fatalité dont on soit ébloui !
Oui, compose un poison affreux, creuse un abîme
Plus sourd que la folie et plus noir que le crime.
Tu n’approcheras pas encore de mon secret.
– Tu ne devines pas ? – Hé ! qui devinerait ? –
Zafari ! dans le gouffre où mon destin m’entraîne,
Plonge les yeux ! – je suis amoureux de la reine !

DON CÉSAR.

Ciel !

RUY BLAS.
Sous un dais orné du globe impérial,
Il est, dans Aranjuez ou dans l’Escurial,
– Dans ce palais, parfois, – mon frère, il est un homme
Qu’à peine on voit d’en bas, qu’avec terreur on nomme ;
Pour qui, comme pour Dieu, nous sommes égaux tous,
Qu’on regarde en tremblant et qu’on sert à genoux ;
Devant qui se couvrir est un honneur insigne ;
Qui peut faire tomber nos deux têtes d’un signe ;
Dont chaque fantaisie est un événement ;
Qui vit, seul et superbe, enfermé gravement
Dans une majesté redoutable et profonde ;
Et dont on sent le poids dans la moitié du monde.
Eh bien ! – moi, le laquais, – tu m’entends, – eh bien ! oui,
Cet homme-là ! le roi ! je suis jaloux de lui !

DON CÉSAR.
Jaloux du roi !

RUY BLAS.

Hé oui ! jaloux du roi ! sans doute,
Puisque j’aime sa femme !

Ruy Blas, Victor Hugo, 1 838, acte I, scène III