Une cité industrielle

— par Tony Garnier

Disposition

Les études d’architecture que nous présentons ici dans une longue suite de planches concernent l’établissement d’une cité neuve, Cité Industrielle : car c’est à des raisons industrielles que la plupart des villes neuves que l’on fondera désormais, vaudront leur fondation ; nous avons donc visé le cas le plus général. D’autre part, dans une cité de cette sorte, toutes les applications de l’architecture peuvent légitimement trouver place, et il y a possibilité de les examiner toutes. En donnant à notre ville une importance moyenne (nous lui supposons environ 35000 habitants), nous avions toujours le même but, de nous attacher à des recherches d’ordre général, que n’aurait pu motiver l’étude d’un village ou celle d’une très grande ville. Enfin, c’est dans cet esprit encore que nous avons admis, pour le terrain où s’étend l’ensemble des constructions, qu’il comprenait à la fois des parties de montagne et une plaine, celle-ci traversée par un fleuve.

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L’usine principale est établie dans la plaine, à la rencontre d’un torrent et du fleuve. Une voie ferrée de grande communication passe entre l’usine et la ville, celle-ci très au-dessus sur un plateau. Plus haut encore, s’espacent les établissements sanitaires ; ils sont, ainsi que la ville même, abrités des vents froids, exposés au midi, en terrasses du côté du fleuve. Chacun de ces éléments principaux (usine, ville, établissements pour malades) est isolé de manière à en rendre l’extension possible en cas de nécessité ; et cela nous a permis d’en poursuivre l’étude à un point de vue plus général.

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Habitations

Beaucoup de villes ont déjà mis en vigueur certains règlements d’hygiène, variables selon les conditions géographiques ou climatiques. Nous avons supposé que, dans notre cité, l’orientation et le régime des vents avaient amené à stipuler le choix de dispositions, lesquelles peuvent se résumer ainsi :

1° Pour l’habitation, les chambres à lit doivent avoir au moins une fenêtre au Sud, assez grande pour donner de la lumière dans toute la pièce et laisser entrer largement les rayons du soleil ;

2° Les cours et courettes, c’est-à-dire les espaces clos de murs servant pour éclairer ou pour aérer, sont prohibés. – Tout espace, si petit soit-il, doit être éclairé et ventilé par l’extérieur ;

3° À l’intérieur des habitations, les murs, les sols, etc., sont de matière lisse, avec leurs angles de rencontre arrondis.

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Écoles

En certains points de la ville, convenablement choisis et répartis par quartiers, sont les écoles primaires pour enfants de tout âge jusqu’à quatorze ans environ : écoles mixtes, c’est-à-dire que les mêmes classes comptent des garçons et des filles, la séparation des enfants dépendant seulement de leur âge et de leur avancement en instruction.

Une rue spéciale et traitée en jardin sépare les classes des petits et celles des grands, et sert de lieu d’amusement en attendant les heures des cours. Il y a aussi, bien entendu, des préaux couverts et découverts destinés aux récréations. Ces écoles possèdent, en plus des salles de cours, une salle de projections. À proximité, sont les habitations des directeurs et surveillants.

À l’extrémité nord-est de la ville, sont les écoles secondaires ; l’enseignement qui y est donné répond aux besoins d’une cité industrielle ; c’est l’enseignement spécial pour une petite quantité d’élèves se destinant à l’administration et au commerce, puis un enseignement professionnel artistique, et pour le plus grand nombre, un enseignement professionnel industriel. Ces écoles secondaires sont fréquentées par tous les jeunes gens de quatorze à vingt ans. Quelques-uns qui ont été reconnus bien doués en vue d’une éducation supérieure sont dirigés en dehors vers l’école spéciale ou une Faculté.

L’école professionnelle artistique est assez développée pour former des ouvriers d’industrie artistique ressortissant à l’architecture, à la peinture, à la sculpture et à toutes leurs applications en ameublement, étoffes, lingerie, broderie, vêtement, travail du cuir, du cuivre, de l’étain et du fer, verrerie, poterie, émaux, imprimerie, lithographie, photographie, gravure, mosaïque, enseignes, affiches, etc.

L’école professionnelle industrielle s’occupe surtout des deux principales industries de la région : l’industrie métallurgique et la préparation de la soie : en conséquence, une division spéciale est affectée à chacune de ces industries et l’on y suit, dans toutes ses phases, la marche du travail.

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Services publics

Certains établissements sont sous la dépendance de L’Administration et soumis à des dispositions spéciales. Ce sont des abattoirs, la manutention des farines et du pain, le service des eaux, la manutention des produits pharmaceutiques, la laiterie.

L’Administration s’occupe de l’évacuation des eaux et matières usées, de l’utilisation des déchets ; elle veille aussi à régler le barrage des eaux, à fournir force motrice, lumière et chauffage aux usines et aux particuliers : il faut donc, à cette fin une installation générale, chaque local devant être ventilé, chauffé, éclairé électriquement, devant disposer de l’eau chaude et froide, du nettoyage par le vide, etc.

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Construction

Les matériaux employés sont le béton de gravier pour les fondations et les murs, et le ciment armé pour les planchers et les couvertures. Tous les édifices importants sont presque exclusivement bâtis en ciment armé.

Ces deux matériaux s’emploient frais, dans des moules préparés à cet effet. Plus les coffres seront simples, plus facile sera la construction, par conséquent moins elle sera coûteuse. Cette simplicité de moyens conduit logiquement à une grande simplicité d’expression dans la structure. Notons d’ailleurs que, si notre structure reste simple, sans ornement, sans moulure, nue partout, nous pouvons ensuite disposer des arts décoratifs sous toutes leurs formes, et que chaque objet d’art conservera son expression d’autant plus nette et pure qu’il sera totalement indépendant de la construction. Qui ne voit aussi que l’emploi de tels matériaux permet, mieux que jamais, d’obtenir de grandes horizontales et de grandes verticales, propres à donner aux constructions cet air de calme et d’équilibre qui les harmonise avec les lignes de la nature ? D’autres systèmes de construction, d’autres matériaux conduiront, sans doute, à d’autres formes qu’il sera intéressant de rechercher.

Voici résumé le programme d’établissement d’une cité où chacun se rend compte que le travail est la loi humaine et qu’il y a assez d’idéal dans le culte de la beauté et la bienveillance pour rendre la vie splendide.

Une cité industrielle. Étude pour la construction des villes, Tony Garnier, Vincent, Paris, 1917.