Ledoux, architecte du regard
Cette gravure du théâtre de Besançon est l’une des plus célèbres de Ledoux. Elle est sans doute aussi celle qui affirme avec le plus d’intensité l’importance du regard dans l’œuvre de l’architecte.
Pour le théâtre de Besançon, Ledoux défend sa vision d’une architecture égalitaire, où chaque spectateur, même le plus modeste, peut bénéficier d’une bonne visibilité sur le spectacle. Est-ce pour cette raison qu’il choisit de représenter son projet de bâtiment à travers un œil grand ouvert ? S’y reflètent pourtant, non pas la scène, mais les gradins des spectateurs qui, eux-mêmes regardent la scène. Dans le projet d’une salle de spectacle, le regard circule partout.
À la saline d’Arc et Senans, la forme en demi-cercle facilite le regard panoramique sur l’ensemble des bâtiments qui la composent. Certains ont vu dans l’oculus qui surmonte la maison du directeur un symbole du pouvoir qui contrôle tout. Mais comme dans le théâtre de Besançon, le regard circule à double sens. Si le directeur voit tout (symboliquement), tous les regards convergent aussi vers lui. Chacun, disposant d’une vision d’ensemble, peut ainsi comprendre le système social dont il fait partie. Dans l’architecture de Ledoux, voir est indissociable d’être vu.
Dans le projet de la ville de Chaux, le monument destiné aux récréations abrite une immense salle de bal. Des cabinets la jouxtent, destinés aux joueurs et aux buveurs, et les danseurs sont sous le regard de tous. "Ici, chacun se connaît ; on n’est pas exposé, comme dans les cités nombreuses, à cajoler en cadence le fils de l’assassin de son père". Dans la vision utopiste de Ledoux, et surtout dans un lieu consacré à la fête, le regard des autres ne semble pas menaçant mais bien protecteur.
Reste que les bâtiments de Ledoux ont pu inspirer des architectures plus inquiétantes. En 1791, Bentham décrit le Panoptique, nouveau projet de prison circulaire. Le gardien, placé dans une tour centrale, peut y surveiller tous les prisonniers à leur insu. Contrairement à la ville utopique de Ledoux, de pareilles prisons ont réellement vu le jour.

La ville de Chaux, cité idéale jamais construite
Dans l’esprit de Ledoux, la ville de Chaux doit venir achever le projet de la saline d’Arc et Senans, l’ensemble composant un cercle parfait, inspirée de la course du Soleil. La ville est construite à la campagne, au plus proche de la nature que le 18e siècle redécouvre. Ainsi Jean-Jacques Rousseau parle de "réinstaller la société dans son environnement naturel".
Pour sa ville, Ledoux imagine tous les édifices nécessaires à une vie sociale harmonieuse, et apporte le même soin à concevoir chacun d’eux, qu’il s’agisse d’une église ou d’une modeste maison. En effet, Ledoux est soucieux de construire pour tous : "pour la première fois on verra sur la même échelle la magnificence de la guinguette et du palais", écrit-il.
© Bibliothèque nationale de France
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