Le peintre d'enseignes

— par les frères Goncourt

“Gautruche avait la gaieté de son état, la bonne humeur et l'entrain de ce métier libre et sans fatigue, en plein air, à mi-ciel qui se distrait en chantant et perche sur une échelle au-dessus des passants, la blague d'un ouvrier. Peintre en bâtiment, il faisait la lettre, il était le seul, l'unique homme à Paris qui attaquât l'enseigne sans mesure à la ficelle, sans esquisse au blanc, le seul qui, du premier coup, mît à sa place, et sans perdre une minute à les ranger, filât la majuscule mains levées. Il avait encore la renommée pour la lettre monstre, les lettres de caprice, les lettres ombrées, repiquées en ton de bronze ou d'or, en imitation de creux dans la pierre.
Aussi faisait-il des journées de quinze à vingt francs, mais comme il buvait tout, il n'en était pas plus riche, et il avait toujours des ardoises arriérées chez le marchand de vin.”

Germinie Lacerteux, Edmond et Jules de Goncourt, 1865