L’architecture industrielle : un patrimoine ?

Plans de l’usine Menier
Pour construire la nouvelle chocolaterie Menier à Noisiel, l’architecte Jules Saulnier fait raser l’ancien moulin à pans de bois, ne gardant que les trois piles en pierre, auxquelles il ajoute une quatrième, indispensable pour supporter le poids du bâtiment et de ses lourdes machines. Construite sur une rivière, l’usine est un moulin : les turbines actionnées par l’eau feront tourner les machines qui broient et mélangent les fèves de cacao dans les étages.
© Mairie de Noisiel
© Mairie de Noisiel
Jusque dans les années 1970, les usines, entrepôts, ou logements ouvriers ne sont pas vraiment considérées comme du patrimoine. Plutôt réservé à l’architecture monumentale, ce terme est très rarement utilisé pour les constructions liées au monde du travail et de l’industrie. Pour autant, ces sites témoignent d’une riche histoire économique, culturelle et sociale.
Des lieux de vie et de mémoire
Les lieux liés à l’industrie sont des lieux de mémoire où ont vécu et travaillé des milliers d’ouvriers. L’architecture industrielle peut être aussi belle. Ses architectes ont souvent recours aux techniques les plus avancées et aux matériaux les plus innovants (fer, acier, verre) pour construire de véritables temples dédiés à l’industrie. S’ils n’ont pas toujours conscience de faire œuvre patrimoniale, certains créent en toute conscience des édifices destinés à marquer les esprits et les mémoires. C’est le cas de la chocolaterie Menier à Noisiel (Essonne), devenue le siège de l’entreprise Nestlé. En 1872, l’architecte Jules Saulnier réalise une usine à l’architecture exceptionnelle, reposant sur une structure métallique totalement en phase avec les progrès techniques de l’époque. Mais cette usine doit aussi être très belle : c’est pourquoi elle est recouverte de briques vernisses et de disques de terre cuite dessinant des motifs complexes. Pour l’industriel Émile-Justin Menier, une telle usine devient partie intégrante de ce qu’on n’appelle pas encore sa "stratégie marketing". Il y organise des visites et fait ainsi connaître ses produits.

Détails des décorations en brique de la façade
La décoration complexe de la façade exige une grande minutie de la part des artisans qui posent les briques unies, blanches (naturelles), grises, émaillées rouges, noires ou jaunes, mais aussi les céramiques en terre cuite comme les rosaces.
Jules Saulnier détaille leur méthode de travail : "Toutes ces briques et pièces de différentes formes et de différents dessins étaient marquées d’un numéro avant de les mettre au four ; les ouvriers qui posaient ces pièces avaient en main un dessin à 10 cm par mètre sur lequel ces numéros étaient reproduits à l’endroit où devait être posé chaque morceau ; il y a eu près de cent quarante numéros." (Source : Jules Saulnier : Usine Menier à Noisiel, dans la Revue d’Encyclopédie d’architecture, 1877)

L’ossature du moulin Saulnier : une structure métallique de 460 tonnes
La totalité de la structure est métallique : quatre grandes poutres de fer délimitent le périmètre du moulin. Le rez-de-chaussée et le premier étage sont soutenus par des colonnes intérieures, mais le plancher du deuxième étage est simplement accroché à la charpente, sans colonne.
Les plancher doivent porter de lourdes charges : ils sont faits de poutres de fer dont le profil en forme de "double T" en renforce la solidité. Même la charpente est constituée d’un treillis de métal. Toutes les pièces métalliques sont maintenues par des boulons et des rivets.
Le treillis en losange de la façade consolide celle-ci : un losange ne subit pas les forces exercées sur les autres. Mais ces formes de métal ont aussi une fonction décorative puisqu’elles sont bien visibles sur la façade du bâtiment.
Le poids total de l’ossature métallique du bâtiment est de 460 tonnes.
Un regard qui change

© BnF
Au fur et à mesure que les usines ferment les unes après les autres, le regard change : on se rend compte qu’il faut conserver et valoriser ces sites. Plutôt que de détruire les bâtiments, on cherche alors à leur affecter un nouvel usage ou à les mettre en valeur. C’est le cas de la biscuiterie LU à Nantes, transformée en lieu culturel, ou de l’usine à air comprimé SUDAC, devenue depuis 2007, l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val-de-Seine. S’ils ont fait l’objet de transformations, tous ces édifices sont reconnus, voire protégés au titre de monuments historiques.