L’escalier, indispensable et symbolique

Pyramides de Teotihuacán
On construit en terre crue depuis des millénaires. Dans les régions où les pluies sont rares, des édifices en terre crue peuvent même exister encore aujourd’hui. C’est le cas des grandes ziggourats de Mésopotamie comme la ziggourat d’Ur ou celle de Babylone, ces immenses constructions à étages faites de briques crues liées avec du bitume ou de l’asphalte, et intercalées avec des roseaux. En Égypte aussi, certaines pyramides ont un cœur de briques crues, recouvert de pierres calcaires.
© Musée du Quai Branly
© Musée du Quai Branly
Si les constructeurs attachent tant d’importance à la forme de l’escalier, c’est qu’elle est particulièrement symbolique. Pendant l’Antiquité, les pyramides à degrés (ziggurats de Mésopotamie, pyramide de Djoser à Saqqarah, pyramide maya de Teotihuacan au Mexique…) sont vues comme une voie d’accès vers le ciel, et donc un lien avec les dieux.
Au Moyen Âge, les escaliers intérieurs sont souvent strictement utilitaires. Dans les châteaux et les forteresses, ils peuvent être enfermés dans l’épaisseur des murs. Ils sont droits ou à vis (enroulés sur eux-mêmes).
À partir du 13e siècle, l’escalier, même intérieur, devient l’occasion pour le constructeur de démontrer son savoir-faire. Au Louvre, Raymond du Temple, “maçon ordinaire du roi”, construit vers 1360 un immense escalier à vis qui émerveille par ses dimensions. Les marches sont très larges (2, 4 m) et l’escalier est logé dans une construction en saillie sur la façade du Louvre. On peut encore voir aujourd’hui les soubassements de la “grande vis” dans les sous-sols du musée du Louvre.

Les escaliers du Capitole à Rome
Cette estampe représente la Piazza del Campidoglio à Rome, avec l’escalier monumental menant à l’église. Ce type d’image, appelé vue d’optique, était conçu pour être observé à travers un dispositif de perspective, donnant une illusion de profondeur.
Bibliothèque nationale de France
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Vue aérienne du château de Fontainebleau
François Ier (1494-1547) réside fréquemment à Fontainebleau "où il se plaisait tant, que y voulant aller, il disait qu’il allait chez soi". Traquant "bêtes noires et bêtes rousses" dans la forêt, le roi séjourne surtout en hivers, à partir de 1528, date des premiers travaux qu’il ordonne. Le roi décide alors une modernisation des bâtiments, d’une part en une cour dite désormais "cour ovale" articulée au donjon, d’autre part en créant une vaste basse-cour englobant le couvent des Trinitaires. Une galerie aboutissant derrière le donjon réunit l’ensemble.
Les travaux entrepris sous le règne de François Ier seront repris dès 1548 par Philibert De l’Orme ; à partir de 1559, Primatice, reçoit la responsabilité du chantier et réalise d’importantes modifications.
© Château de Fontainebleau
© Château de Fontainebleau
Un symbole de pouvoir

Escalier en fer à cheval, cour des adieux
L’actuel escalier, dessiné par Jean Androuet du Cerceau pour Louis XIII, remplace le précédent ouvrage "en fer à cheval", édifié sur les plans de Philibert Delorme vers 1558.
Bibliothèque nationale de France
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À la Renaissance, les escaliers intérieurs commencent à être considérés par les bâtisseurs comme des éléments importants dans la conception d’un bâtiment. Les innovations se multiplient. Les escaliers à vis peuvent être à "double révolution", comme celui dit "de Bramante". Ils comportent deux volées de marche et deux entrées où les visiteurs montants ne croisent pas les visiteurs descendants. Parfois la partie intérieure de l’escalier, enfermée dans une cage, est réservée au service, tandis que la partie extérieure ouverte constitue l’escalier d’honneur. Le célèbre escalier à double révolution du château de Chambord constitue l’un des aboutissements de cette technique.
Particulièrement grandioses, les escaliers extérieurs attirent les regards vers l’édifice auquel ils donnent accès. Ainsi, à Rome, on accède à la place du Capitole, centre du pouvoir depuis l’Antiquité, en levant les yeux et en empruntant un large escalier montant qui accentue la majesté de la place dessinée par Michel-Ange. Au château de Fontainebleau, le spectaculaire escalier en fer à cheval de la cour d’honneur invite les visiteurs à pénétrer dans l’édifice par un accès monumental, symbole du pouvoir royal.
L’escalier comme décor

Plans de l’opéra Garnier : l’escalier
Le caractère spectaculaire de l’escalier trouve tout naturellement son aboutissement dans un lieu de spectacle comme l’opéra Garnier construit au 19e siècle à Paris.
Bibliothèque nationale de France
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Le caractère spectaculaire de l’escalier trouve tout naturellement son aboutissement dans un lieu de spectacle comme l’opéra Garnier construit au 19e siècle à Paris. Si tout le bâtiment est remarquable, son grand escalier est particulièrement impressionnant. Conçu comme un décor de théâtre, il n’est pas un simple lieu de passage entre l’entrée de l’opéra et la salle de spectacle. C’est un espace où l’on s’attarde, où il faut être vu depuis les galeries qui le surplombent, et dont la lumière a été particulièrement soignée, comme sur scène. Composé d’une volée de marches puis d’un palier, il se sépare ensuite en deux volées de marches aux formes courbes. Plus d’une vingtaine de variétés de marbres de toutes les couleurs ont été utilisées pour sa construction. À la même époque, l’escalier monumental s’impose aussi dans ces nouvelles "cathédrales du commerce" que sont les grands magasins. La généralisation des nouveaux matériaux issus de la Révolution industrielle – le fer et le verre – permet de construire une structure à la fois légère et imposante.
Au Bon Marché, construit entre 1870 et 1887, le grand escalier central, emblème de l’établissement, relie tous les étages et favorise la circulation des clientes. Mais, exactement comme à l’opéra, c’est un lieu stratégique où l’on peut voir et être vu, et qui symbolise la puissance du nouveau commerce. Le 20e siècle voit l’avènement des escalators et des ascenseurs. Pour autant, le grand escalier reste un élément appréciable pour mettre en valeur un bâtiment, et un tour de force pour les constructeurs.

Coupe transversale sur l’escalier
La nouvelle architecture de fer et de verre répond parfaitement aux besoins des grands magasins : multiplier les rayons, valoriser les produits, encourager les déplacements de la clientèle. Le tout en réduisant les risques d’incendies toujours très redoutés.
Les poutrelles et colonnes métalliques réduisent l’encombrement des structures porteuses, et favorisent la création de vastes plateaux ouverts sur tout l’étage et de galeries donnant sur le hall central.
Des passerelles légères permettent les déplacements. Un grand escalier de ferronnerie relie les étages. Un maximum d’espace est ainsi libéré pour les marchandises et les clients.
Bibliothèque nationale de France
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Le hall et le grand escalier
Décidé à séduire la bourgeoisie nouvellement enrichie, Aristide Boucicaut teste avec succès les techniques du commerce moderne : prix étudiés, rotation permanente des collections, échanges, soldes, vente par correspondance...
Le hall d’entrée, totalement ouvert sur les étages en galeries, offre une vision d’ensemble sur les espaces commerciaux.
Au centre de ce dispositif, le grand escalier fluidifie les déplacements et invite les clients à visiter les différents rayons.
Bibliothèque nationale de France
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