Histoire de ma vie

— par Casanova

"Je me suis fait conduire au Palais-Royal, et j’ai laissé l’Esprit à la porte. Curieux de cette promenade tant vantée j’ai commencé à observer tout. J’ai vu un assez beau jardin, des allées bordées de grands arbres, des bassins, des hautes maisons qui l’entouraient, beaucoup d’hommes, et des femmes qui se promenaient, des bancs par-ci par-là, où l’on vendait des nouvelles brochures, des eaux de senteur, des cure-dents, des colifichets ; j’ai vu des chaises de paille qu’on louait pour un sou, des liseurs de gazettes qui se tenaient à l’ombre, des filles, et des hommes qui déjeunaient seuls, et en compagnie ; des garçons de café qui descendaient, et montaient rapidement un petit escalier caché derrière des charmilles. Je m’assis devant une petite table vide, un garçon me demande ce que je veux prendre, je lui demande du chocolat sans lait, et il m’en porte du détestable dans une tasse d’argent. Je le laisse là, et je dis au garçon de me porter du café s’il est bon.
– Excellent, je l’ai fait hier moi-même.
– Hier ? Je n’en veux pas."

Casanova, Histoire de ma vie, II, p. 563, écrit entre 1 789 et 1 798