Avignon-Babylone

— par Frédéric Mistral

Mais soudain, tel qu’un rideau de théâtre
Qui en aval se tire à l’horizon,
Les arbres du rivage et les collines,
Tout va diminuant pour disparaître
Devant un colossal entassement de tours
Que le soleil couchant enflamme et peint
De splendeur royale, de pourpre splendide.
C’est Avignon et le Palais des Papes !
Avignon ! Avignon sur sa Roque géante !
Avignon, la sonneuse de la joie
Qui l’une après l’autre élève les pointes
De ses clochers tout semés de fleurons :
Avignon, la filleule de saint Pierre,
Qui en a vu la barque à l’ancre dans son port
Et en porta les clés à sa ceinture
De créneaux ; Avignon, la ville accorte
Que le mistral trousse et décoiffe
Et qui, pour avoir vu la gloire tant reluire,
N’a gardé pour elle que l’insouciance !
Les bras se dressent tous ; et l’équipage,
Les passagers, admirent Babylone
(Ainsi que la nommèrent les Italiens jaloux).

Le Poème du Rhône, Frédéric Mistral, 1 897