Génie du Christianisme

— par Chateaubriand

Plus les âges qui ont élevé nos monuments ont eu de piété et de foi, plus ces moments ont été frappants par la grandeur et la noblesse de leur caractère. On en voit un exemple remarquable dans l’hôtel des Invalides et dans l’École militaire : on dirait que le premier a fait monter ses voûtes dans le ciel à la voix du siècle religieux, et que le second s’est abaissé vers la terre à la parole du siècle athée.

Trois corps de logis, formant avec l’église un carré long, composent l’édifice des Invalides. Mais quel goût dans cette simplicité ! quelle beauté dans cette cour, qui n’est pourtant qu’un cloître militaire, où l’art a mêlé les idées guerrières aux idées religieuses et marié l’image d’un camp de vieux soldats aux souvenirs attendrissants d’un hospice ! C’est à la fois le monument du Dieu des armées et du Dieu de l’Evangile. La rouille des siècles qui commence à le couvrir lui donne de nobles rapports avec ces vétérans, ruines animées, qui se promènent sous ses vieux portiques. Dans les avant-cours tout retrace l’idée des combats : fossés, glacis, remparts, canons, tentes, sentinelles. Pénétrez-vous plus avant, le bruit s’affaiblit par degrés et va se perdre à l’église, où règne un profond silence. Ce bâtiment religieux est placé derrière les bâtiments militaires comme l’image du repos et de l’espérance au fond d’une vie pleine de troubles et de périls.

Le siècle de Louis XIV est peut-être le seul qui ait bien connu ces convenances morales et qui ait toujours fait dans les arts ce qu’il fallait faire, rien de moins, rien de plus. L’or du commerce a élevé les fastueuses colonnades de l’hôpital de Greenwich, en Angleterre ; mais il y a quelque chose de plus fier et de plus imposant dans la masse des Invalides. On sent qu’une nation qui bâtit de tels palais pour la vieillesse de ses armées a reçu la puissance du glaive ainsi que le sceptre des arts.

Génie du Christianisme, Chateaubriand