Une rue de Rivoli peut se supporter…

— par Honoré de Balzac

Peu convaincu par la rue de Rivoli, Honoré de Balzac critique son architecture imitée de l’Italie.


“Quand les Français allèrent en Italie soutenir les droits de la couronne de France sur le duché de Milan et sur le royaume de Naples, ils revinrent émerveillés des précautions que le génie italien avait trouvées contre l’excessive chaleur ; et de l’admiration pour les galeries, ils passèrent à l’imitation. Le climat pluvieux de ce Paris, si célèbre par ses boues, suggéra les piliers, qui furent une merveille du vieux temps. On eut ainsi, plus tard, la place Royale.

Chose étrange ! Ce fut par les mêmes motifs que, sous Napoléon, se construisirent les rues de Rivoli, de Castiglione, et la fameuse rue des Colonnes.

La guerre d’Égypte nous a valu les ornements égyptiens de la place du Caire. — On ne sait pas plus ce que coûte une guerre que ce qu’elle rapporte.

Si nos magnifiques souverains, les électeurs, au lieu de se représenter eux-mêmes en meublant de médiocrités la plupart de nos conseils en tout genre, avaient, plus tôt qu’ils ne l’ont fait, envoyé quelques hommes d’art ou de pensée au conseil général de la Seine, depuis quarante ans, il ne se serait point bâti de maison dans Paris qui n’eût eu pour ornement, au premier étage, un balcon d’une saillie d’environ deux mètres. Non seulement alors Paris se recommanderait aujourd’hui par de charmantes fantaisies d’architecture, mais encore, dans un temps donné, les passants marcheraient sur des trottoirs abrités de la pluie, et les nombreux inconvénients résultant de l’emploi des arcades ou des colonnes auraient disparu. Une rue de Rivoli peut se supporter dans une capitale éclectique comme Paris ; mais sept ou huit donneraient les nausées que cause la vue de Turin, où les yeux se suicident vingt fois par jour. Le malheur de notre atmosphère serait l’origine de la beauté de la ville, et les appartements du premier étage posséderaient un avantage capable de contrebalancer la défaveur que leur impriment le peu de largeur des rues, la hauteur des maisons et l’abaissement progressif des plafonds.

Honoré de Balzac, Ce qui disparaît de Paris (1845)